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LES POÈTES MAUDITS, Paul Verlaine Fiche de lecture

Une mythologie poétique

Héritier du mal du siècle, le titre reprend un cliché romantique. Alfred de Vigny, dès son roman Stello (1832), fait appartenir le poète à « la race toujours maudite par les puissants de la Terre ». Les six « poètes maudits » sont voués à toutes les malédictions sur les plans affectif (frustrations), psychologique (mélancolie), matériel (pauvreté), social (marginalité), physique (maladie), moral (drogue, sexe), littéraire (autodérision, cynisme), métaphysique (déréliction) et religieux (soif d'absolu). Dès l'« avant-propos », Verlaine qui se dit « malédictin », bénit cette fatalité et exalte ses « Poètes Absolus », c'est-à-dire uniques et originaux, parfaits « par l'imagination », « l'expression » et leur destinée de « Reysnetos », de rois maudits, souverains tout-puissants d'une Terre à l'envers.

Réparant une injustice de l'histoire littéraire, Verlaine glorifie ces martyrs de la poésie du xixe siècle, que réunit le dédain du succès. Il en fait les héros d'un temps absolu, héritier de la grande tradition des « pères ». Les cinq premiers essais s'enthousiasment du « si haut » Corbière, du « génie » de Rimbaud, de l'« incomparable » Mallarmé, de « la seule femme de génie et de talent de ce siècle », Marceline Desbordes-Valmore, du « très glorieux » Villiers de L'Isle-Adam, pour mieux apitoyer le lecteur, dans l'essai final, sur le sort du « Pauvre Lelian », « malade et découragé ». Fluide, le discours critique nourrit de citations généreuses l'argumentaire biographique et stylistique. Délibérément subjective, l'appréciation de Verlaine est surtout sensible à l'émotion, à l'incarnation d'une « langue naturelle » dans un terroir et à sa musicalité : l'éloge lyrique et superlatif magnifie le Corbière « breton » et « rimeur », « la Grâce », « la Force » et « la grande Rhétorique » de Rimbaud, l'« exquise » pureté de Mallarmé, l'émouvante » et « très artiste » Desbordes-Valmore, le « sublime » Villiers de L'Isle-Adam, avant de finir dans l'ironique apothéose de son propre portrait.

Si, comme le roman À reboursde Huysmans (1884), l'anthologie de Verlaine a fixé le mythe romantique du génie malheureux et anticonformiste, son autorité paradoxale a permis de discerner en cette fin de xixe siècle les œuvres phares d'une révolution poétique et de sauver du « déluge » leurs « sommets » éternels.

— Yves LECLAIR

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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Autres références

  • CORBIÈRE TRISTAN (1845-1875)

    • Écrit par
    • 956 mots

    Tristan  Corbière est un poète lyrique et tragique de la seconde moitié du xixe siècle. Paul Verlaine l’a rendu célèbre dans son livre Les Poètes maudits (1884) : son corps maladif, ses amours malheureuses, sa malédiction d’auteur sans succès, son dandysmebohème, son anticonformisme,...