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LES PROVINCIALES, Blaise Pascal Fiche de lecture

Contre la « nouvelle morale »

Il s'agit donc, en dix-huit lettres mordantes, de mettre en dialogue les questions qui séparent les deux courants opposés du catholicisme, de démontrer que les jésuites sont le fer de lance d'une religion dévoyée et de faire triompher les thèses de Port-Royal. Les quatre premières lettres portent sur la question de la grâce, en réponse directe aux problèmes débattus à la Sorbonne. Le « destinateur » expose les forces en présence et les arguments en s'adressant à un « narrataire » qui découvre tout : il faut donc peindre avec ironie la grâce suffisante des uns et représenter avec feu la grâce efficace des autres. La position moliniste (de Luis de Molina, théoricien religieux et jésuite espagnol) postule en effet que Dieu veut sauver tous les hommes et qu'il ne dépend que de leur seule volonté d'être sauvés ou non. À eux de choisir d'user bien ou mal de la rédemption qui leur est infiniment offerte par l'amour divin : la grâce suffisante est ainsi infiniment disponible. La polémique janséniste – et le courant protestant avec elle – assure qu'on a affaire ici à une morale qui fait trop confiance à la volonté de l'homme, et qui permet tous les détournements. La position janséniste, Pascal en tête, s'insurge contre la thèse jésuite et affirme, en référence directe à saint Augustin, que, depuis la Chute, l'homme est incapable d'aller vers le Bien. Toutefois, l'âme peut posséder la grâce nécessaire et efficace, tout intérieure, que Dieu peut dispenser mais qui peut ne pas exister. Car Dieu, qui aime les hommes, a choisi d'en sauver quelques-uns, sans qu'aucun soit capable de savoir s'il est de leur nombre. Toutefois, notre volonté, même si nous sommes choisis par Dieu, est libre de rester dans le Mal. Il faut donc se préserver de toute damnation inéluctable par le baptême, être choisi par Dieu (ce qu'on ignore), savoir se laisser guider par Dieu, le cas échéant, résister au divertissement, à l'amour-propre et à la concupiscence, enfin se tenir au plus près de l'idéal de l'homme sauvé, sans jamais être sûr d'accéder au Salut.

Le rappel de ces premiers arguments ne suffit pas à disqualifier totalement les Révérends Pères, même si on les présente comme des naïfs (lettre IV) ; et Pascal, qui côtoie à Paris les milieux pro et contra, voit bien qu'il faut frapper autrement et plus fort. Les douze lettres suivantes (V à XVI) s'en prennent donc à la casuistique religieuse et morale des jésuites, examinant en particulier de fort près la « direction d'intention », cette doctrine qui permet d'excuser certaines infractions majeures, dont l'homicide, en arguant qu'elles n'ont pas été voulues par le criminel (lettre VII). L'art d'adapter les lois morales aux cas délicats, la notion de « probabilisme », qui permet de tout mêler et de tout défendre, « la dévotion aisée », enfin, sont des choses ridicules fondées sur des équivoques qui permettent aux jésuites de régner sur les cœurs, de détourner les sacrements, et aussi d'élargir leur influence dans la sphère politique. Ce qu'il faut établir, c'est que les jésuites sont trop subtils, et que cette subtilité conduit à manipuler les notions les plus sacrées et à laisser les criminels en paix, puisqu'elle permettra qu'on tue pour se protéger du vol ou pour sauver son honneur... Il faut donc se protéger des jésuites, savoir affronter, par le rire, les libelles qu'ils font courir, répondre avec précision pour échapper à la calomnie, et dénoncer une religion qui n'est plus qu'une politique (lettre X). Les deux dernières lettres clôturent l'ensemble par des considérations théologiques (les cinq propositions qui ont fait l'objet de la bulle papale sont condamnables, mais ne figurent pas dans l'[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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Blaise Pascal - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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