LES RÊVERIES DU PROMENEUR SOLITAIRE, Jean-Jacques Rousseau Fiche de lecture
Un sentiment nouveau
Le rêveur solitaire est un promeneur à pied. L'aristocrate ou le riche parvenu se déplace en carrosse, à distance de la réalité, prisonnier de sa fortune, dépendant de domestiques et d'animaux. Il risque d'agresser le pauvre qui va à pied, tel Rousseau lui-même, renversé sur les pentes de Ménilmontant. Celui-ci reste au contraire en contact avec le sol et le ciel, avec la végétation qui l'entoure, la nature qui l'enveloppe. « La nuit s'avançait. J'aperçus le ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure » (II) : Jean-Jacques reprend conscience en deçà de toute identité, dans une continuité euphorique avec le monde des étoiles et des plantes. Le fugitif de Bienne n'est plus séparé du paysage par aucune abstraction, aucune vanité ni égoïsme. Il se fond dans la vie pulsionnelle de la terre et de l'eau.
Les Confessions ont raconté les élans de rêverie qui poussent Rousseau à inventer un monde de chimères plus satisfaisant que la réalité. La Nouvelle Héloïse est née de cette création d'un monde imaginaire qui parviendrait à résoudre les contradictions de la vie sociale. La rêverie suivait alors le fil d'un récit, elle gardait la consistance d'un univers parallèle. Dans Le Rêve de d'Alembert, Diderot, l'ancien ami de Jean-Jacques, pratique le rêve comme une levée des censures rationnelles, comme un dépassement de l'opposition entre logique et intuition, construction d'un système et hypothèse poétique. La rêverie du promeneur solitaire, elle, ne vise pas à produire un objet romanesque ou philosophique. Elle invite à partager une expérience existentielle et presque mystique, à ressentir un rapport nouveau au paysage et à l'atmosphère. C'est ainsi que Rousseau, pour dire sa solitude, invente une nouvelle langue littéraire. Le plaisir de modeler la phrase sur l'impression physique, d'adapter la syntaxe au rythme de la conscience prolonge et donne forme au sentiment de l'existence : « Le flux et le reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser » (V).
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Écrit par
- Michel DELON : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
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