LES ROYAUMES ANGLO-SAXONS (exposition)
Anglo-Saxon Kingdoms: Art, Word, War (British Library, Londres, 19 octobre 2018 – 19 février 2019) réunit un ensemble exceptionnel de manuscrits, mais aussi de pièces d’orfèvrerie. L’exposition illustre les créations de la longue période commençant au ve siècle, avec l’installation en Angleterre des peuples anglo-saxons (Angles, Jutes, Saxons), en une multiplicité de petits royaumes, jusqu’à l’unité politique des ixe et xe siècles. Elle s’achèvera avec la conquête de ce territoire par les Normands en 1066.
Un art insulaire
Une page fameuse des Évangiles d’Echternach exprime à la perfection l’essence de l’art anglo-saxon dans ses premiers siècles. Elle montre un personnage assis, de face, présentant un livre ouvert qui porte les premiers mots du texte latin du Livre de Matthieu. Si l’on oublie un instant le visage, les mains et les pieds, on est saisi par les trois grandes doubles formes incurvées, irréelles, auxquelles se réduit ici un corps humain. Par l’emplacement en frontispice de cet Évangile, et par l’inscription Imago hominis (« Image de l’homme »), nous comprenons qu’il s’agit du symbole de Matthieu (comme le lion est le symbole de Marc, le bœuf celui de Luc, l’aigle celui de Jean). Nous nous doutons que les deux rectangles devant lesquels il est peint représentent un siège, mais cette création relève avant tout de l’abstraction. Aucun espace n’est suggéré, aucun sol, aucune architecture dans laquelle ces formes pourraient s’insérer, aucune ombre portée n’est visible, et la parfaite symétrie, jusque dans le visage lui aussi en frontalité, au regard presque halluciné, donne à l’ensemble une puissance exceptionnelle. De la bordure à entrelacs poussent quatre excroissances qui viennent comme fixer le personnage central, l’empêchant de flotter dans cette absence de lieu.
Ce merveilleux manuscrit a été réalisé vers 700, et il est significatif que l’on hésite, pour sa localisation d’origine, entre l’Irlande, la Northumbrie (au nord de l’Angleterre), et Echternach (auj. au Luxembourg). Car les temps couverts par cette exposition sont ceux, pour la vie politique, de grandes conquêtes, et pour la civilisation, de mutations majeures, en particulier par la diffusion du christianisme et le développement de la production du livre, à la fois sacré – objet essentiel pour la nouvelle vie religieuse – et profane, avec l’apparition des premiers textes en langue anglaise. Un triple mouvement voit se développer en Grande-Bretagne (la Bretagne d’alors) une évangélisation qui provient d’une part de l’Irlande, christianisée antérieurement, et de l’autre du continent, comme avec la mission majeure du moine bénédictin Augustin, envoyé à la fin du vie siècle par le pape Grégoire le Grand et qui sera évêque de Cantorbéry. Mais un travail d’évangélisation part ensuite de cette Bretagne pour toucher des régions du continent, comme c’est le cas pour le monastère d’Echternach, fondé en 698 par un moine de Northumbrie. Ces grands échanges expliquent que l’on parle souvent, d’une manière globale, d’un art insulaire, devant la difficulté de savoir si certaines œuvres viennent d’Irlande ou plutôt de la Bretagne anglo-saxonne.
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Écrit par
- Christian HECK : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille
Classification
Média