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LES ROYAUMES ANGLO-SAXONS (exposition)

Une esthétique de l’ornement

Dans la création artistique, la peinture des livres est d’abord nourrie par l’imaginaire, en partie commun, des mondes celtes (pour l’Irlande) et anglo-saxons. On assiste au développement massif d’ornements et de symboles abstraits, les figures humaines et animales, rares, étant soumises à la loi des effets décoratifs. C’est le règne des entrelacs, le plus souvent purement géométriques, issus parfois aussi de motifs végétaux ou animaliers ; mais aussi celui de formes curvilignes, des cercles, des spirales, qui s’engendrent et se contiennent mutuellement dans des enroulements qui tourbillonnent ; et également de motifs rectilignes, carrés et rectangles, diagonaux, en damiers, pouvant couvrir entièrement la page comme un tapis. Le tout est animé par un double mouvement d’expansion et de contraction, et c’est un bonheur de voir que cet art foncièrement abstrait vit pourtant de profondes pulsions et exprime une vie ininterrompue. Dès que l’œil saisit l’une de ces formes, il ne peut s’empêcher de suivre sa profonde circulation sur la page. Le principe est le même pour les petites et fabuleuses pièces d’orfèvrerie trouvées dans les tombes, comme les plaques-boucles de Sutton Hoo, du début du viie siècle, dont l’émail d’un rouge éclatant remplit de petites cloisons d’or, dans une perfection autant technique qu’esthétique.

Mais les livres voyagent, et les Évangiles de saint Augustin (du nom du moine évangélisateur), réalisés en Italie à la fin du vie siècle et apportés à Cantorbéry, font partie de ces représentations plus naturalistes, venues du monde méditerranéen d’inspiration classique, et qui vont rééquilibrer la tendance anglo-saxonne à l’abstraction. Peint dans le second quart du viiie siècle, sans doute à Cantorbéry, le Psautier Vespasien unit précisément les figures naturalistes de David jouant de la harpe et entouré de musiciens et de scribes à qui il dicte les psaumes, et un cadre à figures géométriques et enroulements de spirales. Aux xe et xie siècles, l’art évolue vers des manuscrits souvent somptueux, aux figures d’une grande vivacité, au dessin nerveux, d’une agitation vibrante et souvent rehaussées d’or. Ainsi pour le Bénédictionnaire d’Æthelwold, livre liturgique réalisé vers 980, un des plus fameux de l’école de Winchester.

Certaines des œuvres ici réunies avaient été présentées lors de deux expositions qui formaient une suite chronologique, The Making of England. Anglo-Saxon Art and Culture, 600-900, et The Golden Age of Anglo-Saxon Art, 966-1066. Mais l’acquisition par la British Library, en 2012, de l’Évangile de saint Cuthbert, réalisé en Northumbrie au début du viiie siècle, le plus ancien livre européen conservé intact, avec sa reliure, était une occasion magnifique de rassembler en une seule exposition l’évocation solide et en même temps spectaculaire de ces six siècles de création.

— Christian HECK

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Écrit par

  • : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille

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Média

<em>Évangiles d’Echternach</em>, v. 700 - crédits : BnF, cote cliché RC-B-12227

Évangiles d’Echternach, v. 700