LES RUINES DE PARIS, Jacques Réda Fiche de lecture
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« Par les chemins cachés d’une ville… » (L.-P. Fargue)
L’écriture de Jacques Réda mêle le désenchantement élégiaque à l’emportement lyrique, la précision du lexique aux registres variés de la langue. Elle équilibre la mélancolie des ruines par l’humour, l’emportement verbal par l’autodérision, l’hyperbole par la comparaison inattendue voire saugrenue. Les phrases et les vers épousent les bifurcations étonnantes, volontiers labyrinthiques, d’un promeneur tour à tour déçu et émerveillé.
Les thèmes des Ruines de Paris combinent un même art de la syncope et du contrepoint, jouant tour à tour du désarroi et de la stupeur, passant de la discordance à l’illumination. L’« arpenteur ahuri » déambule dans un paysage urbain et suburbain ruiné par le béton, l’uniformisation, la technocratie, « la morosité du luxe », la « catastrophe industrielle », « le néant très correct » « des façades », la circulation infernale ou l’insulte. Pourtant, dans ces mêmes cercles du désastre, le poète, à l’affût, sait délivrer des fragments d’absolu : la beauté inattendue d’un square, la splendeur d’un soleil couchant sur les Tuileries, les motifs ferroviaires d’une gare, la leçon méditative d’un terrain vague, les ultimes bucoliques d’un jardin de banlieue dont le poète se fait le Virgile. Cette gloire paradoxale exulte plus particulièrement dans l’humanité des visages rencontrés, populaires et anonymes, et signes d’espérance : passant, femme à vélo, enfants, livreur, balayeur, cantonnier, vendeuse, clochard à poussette, travailleur émigré, etc. Ces ballades sont aussi l’occasion de saluer des compagnons de voyage, Jean Grosjean, Jean Follain, Georges Perros, Valery Larbaud, Charles-Albert Cingria, ou encore le Léon-Paul Fargue du Piéton de Paris (1939).
En ne cessant de l’effacer, Les Ruines de Paris dessine à travers les paysages et les visages rencontrés, un autoportrait de l’écrivain urbain et suburbain en « éboueur » solitaire et solidaire. Au-delà de sa passion pour le tabac, les alcools forts, les petits soldats de plomb ou les cartes postales, par-delà l’anecdote et le bleu de l’âme, le poète à pied, à vélo-solex, en bus ou en train métamorphose le désenchantement de notre monde moderne en quête initiatique de beauté et d’humanité, en épopée du familier merveilleux au milieu du désastre.
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
Classification
Autres références
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RÉDA JACQUES (1929-2024)
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Pierre LOUBIER
- 1 487 mots
- 1 média
...l'œuvre poétique de Jacques Réda commence véritablement en 1968 avec Amen et se poursuit avec Récitatif (1970), La Tourne (1975), les poèmes en prose des Ruines de Paris (1977), Hors les murs (1982), Retour au calme (1989), Lettre sur l'univers et autres discours en vers français (1991), L'incorrigible...