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FORÊT DE BAMBOUS LES SEPT SAGES DE LA (ZHU LIN QI XIAN)

Les Chinois ont de tout temps groupé ensemble penseurs, poètes ou peintres parmi lesquels ils trouvaient certains traits communs. Tantôt ces groupes étaient composés de véritables cénacles d'amis, tantôt (un peu comme les Sept Sages de l'Antiquité grecque) ils n'étaient que des compagnons imaginaires, rassemblés par des historiens qui voyaient entre eux des similitudes dans leur pensée, leur art ou leur façon de vivre. Les Sept Sages de la Forêt de Bambous (en chinois Zhu lin qi xian) vécurent au milieu du iiie siècle de notre ère et sont peut-être le plus célèbre de ces groupes, mais il est difficile de savoir aujourd'hui s'ils formaient un véritable cénacle ou s'ils ont été réunis a posteriori par quelque historien entreprenant. Leur historicité en tant que groupe, qui semble avoir été mise en doute depuis une trentaine d'années seulement, est une question relativement secondaire. Ce qui est important, c'est qu'ils incarnent un certain mode de vie libre, affranchie des rites contraignants et des servitudes de la vie politique qui règlent si étroitement l'existence du lettré chinois.

Qui étaient-ils ?

Ces Sept Sages comptaient parmi eux le plus grand poète et le plus illustre philosophe de leur époque, et c'est sans doute la personnalité de ces deux hommes géniaux qui a donné le ton, sinon aux rencontres hypothétiques, du moins à l'image que l'histoire en a faite. La poésie de Ruan Ji (210-263) est une longue introspection sur l'impermanence de la vie et une recherche pathétique de valeurs constantes dans un monde qui en semble dépourvu. La philosophie de Xi Kang (223-262) est bien moins négative : tout en insistant sur la valeur relative de notre vie mondaine, elle préconise une vie supérieure, immortelle ou presque, qu'on peut atteindre en suivant les exercices spirituels et physiques de la religion taoïste. Aussi différentes que soient leurs conceptions philosophiques, ils se retrouvaient dans leur comportement non conformiste, dans leur opposition aux ritualistes et aux politiciens hypocrites. Les anecdotes montrant cet aspect de leur caractère sont très nombreuses et font ressortir ce qu'on peut appeler leur « grandeur » taoïste : leur indifférence aux mœurs reçues semble les élever à un niveau de « mœurs cosmiques » nietzschéennes, au-delà du bien et du mal des hommes ordinaires. Ruan Ji, déchaînant les foudres des moralistes de la cour, ignore totalement les règles très strictes qui auraient dû gouverner sa conduite pendant le deuil de sa mère. Mais ceux qui le connaissent savent que son deuil est un deuil d'homme « au-delà des limites » (Zhuangzi) et que sa douleur est si profonde qu'il a failli en mourir. Il recevait les hommes vulgaires en roulant les yeux de telle façon que l'on ne voyait que le blanc, mais quand, pendant cette période de deuil, Xi Kang lui rendit visite avec sa cithare sous un bras et une jarre de bon vin sous l'autre (la musique et le vin étant proscrits par les rites en temps de deuil), Ruan Ji se noua d'amitié avec lui. Si la tradition selon laquelle le commentaire du Zhuangzi attribué à Guo Xiang (mort en 312) est en fait un plagiat basé sur l'œuvre de Xiang Xiu, celui-ci serait la troisième figure géniale parmi les Sages. Il était surtout lié avec Xi Kang et se disputa avec lui dans des essais célèbres, leurs points de vue philosophiques étant on ne pourrait plus différents. Mais la philosophie de Xiang Xiu, si elle est, au fond, tout à fait compatible avec le confucianisme bien pensant qui déplaisait tant à Xi Kang et à Ruan Ji, s'inspire tout de même de Zhuangzi et préconise un genre d'évasion mystique où le bon fonctionnaire rangé arrive à dépasser les limites de sa vie quotidienne pour errer dans le cosmos comme un héros taoïste. Shan Tao (205-283), le doyen des Sages, et[...]

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Écrit par

  • : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

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