LES SERMENTS INDISCRETS (mise en scène C. Rauck)
Un cache-cache amoureux
Dans la mise en scène que donne Christophe Rauck, chacun, du plus grand au plus petit rôle, et qu'il soit valet, parent ou amant, se dépense sans compter. C'est vrai de Marc Susini et Alain Trétout, « pères » délicieusement égoïstes. C'est vrai d'Hélène Schwaller et Marc Chouppart, serviteurs aussi lucides qu'inquiétants, condamnés à manipuler maître et maîtresse pour sauver leurs intérêts. C'est vrai encore de Sabrina Kouroughli, la sœur, moins victime qu'il n'y paraît, prête à tout pour, l'air de rien, tirer son épingle du jeu. C'est vrai enfin de Cécile Garcia-Fogel et Pierre-François Garel, les deux amants malgré eux. Pris au piège de leur imprudent serment, ils courent, s'ébrouent, criaillent, échangent des regards de feu quand ils les voudraient de glace. Entraînés dans une partie de cache-cache avec soi et avec l'autre, ils se disent raisonnables mais brisent les meubles, lorsqu'ils ne se jettent pas au sol, prêts à se mordre de peur de s'embrasser.
Oscillant entre xviiie siècle – évoqué par les projections de tableaux à la Watteau et à la Fragonard projetés sur un écran caché derrière un voile de tulle noir – et références contemporaines (« j'ai l'honneur de ne pas te demander ta main », chante Brassens), le spectacle file vite, sur le mode d'un fantastique ballet des cœurs soumis à la chorégraphie d'une diabolique construction mathématique. Dans la confusion des sens et des sentiments, les jeux de l'âme et de l'amour sont mis à nu et à mal. Peurs, refus, désirs, caprices, abandons, atermoiements, élans, retenues... tout y passe, entre tragédie et bouffonnerie. Dans l'espace neutre d'un décor uniquement habillé d'un tapis, d'une table, de quelques chaises et fauteuils qui bientôt s'envoleront, brisés ou jetés dans les airs, c'est la vie qui bruit, qui fuit, qui s'égare et se retrouve, tendre et bouleversante, emportant, dans son tourbillon, les spectateurs pris d'un irrépressible élan d'empathie. Poignant, cruel, sensuel, charnel, le « marivaudage » n'est plus ce qu'il était.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
Classification