LES STRUCTURES ÉLÉMENTAIRES DE LA PARENTÉ, Claude Lévi-Strauss Fiche de lecture
Né à Bruxelles en 1908, Claude Lévi-Strauss découvre l'ethnologie au travers des écrits de Robert Lowie. Après des études de droit et de philosophie à Paris et une agrégation de philosophie (1931), il part en 1935 enseigner la sociologie à São Paulo et c'est au Brésil qu'il conduit ses premières enquêtes ethnographiques. Réfugié aux États-Unis pendant la guerre, il enseigne à la New School for Social Research et à l'École libre des hautes études de New York. À l'instigation du linguiste tchèque Roman Jackobson, qui initie le « structuraliste naïf » d'alors à la linguistique structurale, Claude Lévi-Strauss entreprend, en 1943, la rédaction d'une vaste étude, Les Structures élémentaires de la parenté, qui, présentée comme thèse d'État à la Sorbonne en 1948, sera publiée à Paris dès l'année suivante.
Œuvre majeure, Les Structures marquent l'avènement du courant structuraliste en France et demeurent aujourd'hui encore une référence fondamentale de l'anthropologie.
Les fondements naturels du lien social
Outre la linguistique, l'ouvrage s'inspire des travaux de l'anthropologie anglo-saxonne et de certains écrits de l'école de L'Année sociologique (l'Essai sur le donde Marcel Mauss et Les Catégories matrimoniales de Marcel Granet) plutôt que d'une tradition ethnographique et muséographique française encore balbutiante. Dans cette vaste fresque comparative, Lévi-Strauss s'essaie à réunir sous un schème explicatif unique la mosaïque hétéroclite des comportements matrimoniaux observés dans les sociétés humaines.
Opposant, dans les premiers chapitres, l'universalité des phénomènes naturels à la diversité caractéristique des faits culturels, il s'interroge sur la position ambivalente de cette règle – aux frontières fluctuantes et néanmoins universelle – qu'est la prohibition de l'inceste.
Loin des théories physiologiques ou psychologiques de l'époque, Lévi-Strauss revendique une vision proprement sociologique du phénomène, considéré comme spécifiquement humain (il nuancera cette position par la suite) ; il décèle dans cette prohibition le modus operandi fondant la transition entre deux ordres, les faits de nature et les faits de culture.
Là où tous les aspects de la filiation biologique sont naturellement déterminés, l'alliance ne l'est que partiellement. Elle répond certes à l'exigence universelle qui préside à l'union des sexes mais témoigne aussi de « l'indifférence de la nature » quant aux modalités du choix des partenaires : « la nature impose l'alliance sans la déterminer ». Cette « forme vide » que les autres espèces laissent béante, Homo sapiens sapiens va, toujours et partout, la combler, l'investir de ces règles culturelles qui définissent les interdits incestueux.
Ces derniers ne sont à leur tour, pour l'auteur, que l'expression négative d'une obligation positive fondamentale : celle de l'échange. S'interdire l'accès aux femmes de son groupe c'est s'obliger à épouser celles d'autres familles et à céder les premières ; cet échange seul permet d'établir une relation durable entre des groupements humains autrement voués à l'isolement et au conflit. À ce titre, les structures élémentaires apparaissent exemplaires ; elles ne se satisfont pas, contrairement aux structures complexes, d'une simple règle négative qui définit les interdits, mais lui associent une règle positive de détermination du conjoint.
La suite de la démonstration examine les modalités de ces échanges et emprunte ses exemples aux sociétés aborigènes d'Australie, puis, dans la seconde partie de l'œuvre, à celles de l'Asie du Sud, de la Chine et de l'Inde. Lévi-Strauss distingue ici deux grands modèles : l'échange[...]
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Écrit par
- Laurent BARRY : docteur en lettres et sciences humaines, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales
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