LES THIBAULT, Roger Martin du Gard Fiche de lecture
Roger Martin du Gard (1881-1958), Prix Nobel de littérature en 1937, souffre aujourd'hui d'une relative désaffection, due sans doute à la situation charnière qu'il occupe entre le xixe et le xxe siècle. Malgré son amitié avec André Gide (1869-1951) et sa participation à La Nouvelle Revue française, Roger Martin du Gard doit beaucoup au positivisme d'Auguste Comte (1798-1857), à la rationalité scientifique de Claude Bernard (1813-1878) et à la méthode historique de Taine (1828-1893). De sa formation de chartiste rompu à l'étude des sources, Roger Martin du Gard a conservé une rigoureuse méthode de composition, toujours étayée au préalable par l'élaboration de fiches documentées et d'une architecture planifiée
Cette méthode sous-tend son œuvre maîtresse, Les Thibault, publiée chez Gallimard de 1922 à 1937 en huit livres et habitée par un seul héros « positif », Antoine Thibaut, jeune médecin, découvrant peu à peu que, dans un univers déserté par la transcendance, l'homme n'a d'autre avenir que lui-même.
Une chronique historico-romanesque
Dans Les Thibault, chronique s'étendant de 1905 à 1918, la question des relations de l'individu avec Dieu et avec l'Histoire est primordiale. Elle est illustrée par l'histoire parallèle de deux familles : les Thibault, catholiques traditionalistes solidaires de l'ordre moral, dont le représentant par excellence est le patriarche Oscar Thibault ; et les Fontanin, protestants que désagrègent l'éthique du libre examen, mais, plus encore, l'insécurité financière due aux frasques de Jérôme Fontanin, père volage aux antipodes d'Oscar Thibault.
Deux univers, deux visages de la bourgeoisie se côtoient ainsi, d'autant plus que Jacques, le cadet des deux frères Thibault, aura une liaison avec Jenny Fontanin, et que Mme Fontanin, si désarmée devant son mari infidèle, éprouvera une passion muette, partagée quoique indicible, pour Antoine, le frère aîné des Thibault.
La remarquable symétrie qui oppose ou rapproche ces deux familles renvoie surtout à l'opposition entre deux visions du monde incarnées, l'une par Antoine Thibault, médecin chez qui l'intelligence s'enracine dans la sensualité (« Cinq ou six années d'études scientifiques l'obligeaient à raisonner avec une apparence de logique »), et l'autre par son frère Jacques, ange pur et révolté, mais déchu par son inaptitude à conduire jusqu'à son terme amour ou militantisme pacifiste.
À travers la divergence qui marque leurs destins respectifs, l'un qui acquiesce à l'ordre bourgeois tout en s'efforçant de l'humaniser grâce à sa pratique de médecin, l'autre qui s'insurge aveuglément contre un ordre social qu'il abhorre (« Je suis seul dans un univers hostile »), Roger Martin du Gard montre l'échec d'une société.
À l'origine, Les Thibault devaient s'étendre jusqu'en 1940. Martin du Gard décida finalement de clore son roman avec l'été 1914, lorsque culmine la catastrophe d'un monde sans espérance : « Peut-être faut-il que l'humanité passe encore par cette étape de haine et de violence, avant d'inaugurer l'ère de la fraternité... »
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Écrit par
- Alain CLERVAL : docteur en droit, critique littéraire
Classification
Média
Autres références
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MARTIN DU GARD ROGER (1881-1958)
- Écrit par Gaëtan PICON
- 2 992 mots
- 1 média
La seule chose que je sache faire... Il est vrai que c'est dans la technique toute classique des Thibault qu'il a trouvé son véritable support.