LES TRAGIQUES, Théodore Agrippa d'Aubigné Fiche de lecture
Une épopée baroque
La langue du poème, emphatique et raffinée, brutale et sublime, le flot des images contribuent au déchaînement de la véhémence : « Cités ivres de sang, et encore altérées,/ Qui avez soif de sang et de sang enivrées,/ Vous sentirez de Dieu l'épouvantable main. »
La symbolique du bestiaire, celle des couleurs illustrent le combat du bien et du mal : l'attaque du loup contre l'agneau, le rouge du feu et du sang, le noir de la mort et de l'horreur, le blanc des anges et des agneaux fidèles, l'or des vertus et de la lumière.
Le titre même des Tragiques est paradoxal. La tragédie relève ordinairement du genre théâtral. Mais le poème de D'Aubigné est un drame sacré qui rappelle en plus d'un endroit les longues déplorations lyriques dont se composent au xvie siècle les tragédies d'un Jodelle ou d'un Garnier, plutôt que les épopées à l'antique dont avaient rêvé les poètes de la Pléiade. Les calvinistes persécutés et leurs bourreaux jouent ainsi sous le regard de l'Éternel la tragédie des temps modernes.
D'Aubigné, contemporain de Malherbe (1555-1628), demeure un homme de la Renaissance par sa pensée, ses goûts, sa vie, son style. Mais il appartient à la dernière génération, celle des guerres, témoin des ébranlements religieux, sociaux et moraux, qui renversent les notions les mieux établies. Ses réactions, notamment sur le plan esthétique, ne peuvent plus être celles des poètes de l'âge précédent, imbus de paganisme et de modes de penser à l'antique. L'auteur des Tragiques, militant de la cause calviniste, est un poète baroque. Un baroque noir. Et, avec cette œuvre qui n'a pas de précédent, il crée l'épopée moderne.
La fortune de l'ouvrage est peu banale. Publié trop tard, venu après son heure, le poème ne connut qu'un succès médiocre et resta à peu près oublié pendant plus de deux siècles. Il fallut attendre pour le redécouvrir le xixe siècle, « le grand siècle pour d'Aubigné » (G. Schrenck). Aujourd'hui, quatre cents ans après leur naissance, Les Tragiques sont unanimement considérés comme l'un des chefs-d'œuvre de la littérature française.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Yvonne BELLENGER : professeur émérite à l'université de Reims
Classification
Autres références
-
AUBIGNÉ THÉODORE AGRIPPA D' (1552-1630)
- Écrit par Jacques BAILBE
- 1 836 mots
Commencés en 1577, achevés sous leur forme première en 1589, ils paraissent en 1616, au lendemain de la paix de Loudun, dans un siècle de goût et d'autorité qui a oublié les temps héroïques de la geste protestant. Ce poème de dix mille vers n'entre dans aucun genre défini : il contient de l'histoire,... -
ÉPOPÉE, notion d'
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 1 627 mots
...»... L'échec déjà de Ronsard (La Franciade, 1572), celui plus tard de Chateaubriand (Les Martyrs, 1809), semblent lui donner raison. C'est oublier Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné (1616) – certes une épopée paradoxale, sans postérité parce qu'elle émane d'une minorité persécutée, les calvinistes... -
FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.
- Écrit par Frank LESTRINGANT
- 6 760 mots
- 3 médias
L’acronyme L.B.D.D., qui signe l’édition de 1616 des Tragiques, correspond au surnom que son caractère rétif avait valu à d’Aubigné : « le bouc du désert ». Composés de 1577 à 1616, LesTragiques comprennent sept chants, qui conduisent de « Misères » à « Jugement ». « Misères »,...