LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT, film de Jacques Tati
L'air de rien
À première vue, nous avons affaire à une série de saynètes « bien observées » de la France vacancière. Le film est cependant construit autour de la rencontre attendue, espérée, effleurée, puis sans lendemain, entre Hulot et Martine. Le réseau de relations entre les personnages, et pas seulement entre les protagonistes, est très précis, beaucoup de choses renvoyant à la question de la paternité. Un petit garçon, qui souffre de l'inattention de son père, cherche un prétexte pour parler avec lui, en le tirant par la manche : « Regarde Monsieur Hulot ! ». Hulot – dont nous ne savons rien – devient celui qui crée du liant entre les autres ; il arrache, involontairement, les personnages à l'ennui.
Mais dans Les Vacances, Hulot reste encore, classiquement, celui qui provoque les catastrophes tandis que dans ses apparitions futures dans l'œuvre de Tati, comme Mon Oncle (1958), Playtime (1967), et Trafic (1971), il sera beaucoup plus un catalyseur, un passant. Tati poursuivra la saga en ajoutant ou en retranchant une caractérisation à son personnage. Avec Mon Oncle, il lui donne une famille, un ancrage, et en fait le révélateur de la relation blessée entre un père et son fils. Dans Playtime, au contraire, il essaie de le fondre dans la foule, en lui créant des sosies. Enfin, pour la première fois dans Trafic, le personnage – qui a vieilli avec son créateur et interprète – cesse d'être solitaire et part à la fin du film avec la protagoniste féminine.
Plus encore que dans Jour de fête, Tati affirme dans Les Vacances de Monsieur Hulot sa manière sonore particulière : sons ponctuels, fragments de dialogues, comme saisis au vol. Le cadre de la mer est idéal pour cela : le son de la vague, entendu dès le générique, absorbe et isole des bouts de phrases, qui émergent comme des souvenirs très nets : « Oh ! un coquillage ! », dit une dame.
Si le film, comme tous ceux de Tati, se caractérise par le refus de tout élément mélodramatique, il dégage un sentiment de nostalgie poignante : chaque personnage est seul, les dialogues n'en sont pas. Ce sentiment est aussi dû à la rareté des échanges verbaux (chacun monologue), mais aussi au contraste entre ce qu'on entend (des commandes très vives et dynamiques venant d'une cuisine de restaurant, à l'heure du « coup de feu », des interpellations d'enfants au cours d'un jeu de plage) et ce qu'on voit (une salle à manger où les convives parlent à mi-voix, des baigneurs isolés, perplexes ou soupçonneux).
La postérité de Tati est vaste et diluée : on a longtemps présenté Pierre Étaix (qui fera son propre film, très grinçant, sur les vacances françaises, Pays de cocagne, 1971), comme son héritier, surtout parce que celui-ci – un temps son collaborateur – puisait aux mêmes sources. Federico Fellini lui a emprunté une certaine manière d'étouffer le gag (par exemple dans Amarcord, 1973), et The Party (1968) de Blake Edwards est un hommage à Tati, comme certains plans d'Otar Iosseliani (Pastorale, 1976). Le cinéma de Tati, qui laisse un grand rôle au spectateur, et où les gags sont parfois en second plan, se retrouve aussi fugitivement chez Antonioni, Skolimowski, et même chez Tarkovski, bref chez d'autres cinéastes de l'allusion, parfois très sérieux, mais auxquels les rencontres insolites d'images et de sons que propose la vie suggèrent parfois une notation souriante, qui est un coup de chapeau à Jacques Tati.
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Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
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