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VEILLES DE BONAVENTURA LES

Qui est Bonaventura ? On a avancé des noms célèbres : Schelling, Jean Paul, F. Schlegel, Clemens Brentano, E. T. A. Hoffmann, Gotthilf Heinrich Schubert. Il a été question d'écrivains plus obscurs comme Friedrich Gottlob Wetzel ou bien August Klingemann. On a même pensé à une femme : Caroline Schlegel-Schelling. De toutes ces thèses, aucune ne se révèle absolument satisfaisante. Le poète qui se dissimula sous le pseudonyme de Bonaventura est resté inconnu.

Les Veilles paraissent en 1804. En seize chapitres — seize « veilles » —, un veilleur de nuit qui est aussi poète nous parle de son expérience de la vie et des hommes, et nous livre des bribes de sa propre biographie chaotique. Récits, discours, monologues, réflexions philosophiques, lettres d'amour et lettres d'adieu, textes de fiction et digressions alternent et se succèdent. Fondamentalement pessimiste mais d'une très grande lucidité, mettant en scène le « nihilisme poétique » que Jean Paul cherche à définir, cette œuvre déroutante est extrêmement caractéristique de certains courants du romantisme allemand. D'autre part, son thème principal est celui qui détermine une grande partie de la littérature baroque : sur le théâtre du monde nous sommes des acteurs qui jouent leur rôle et qui échouent la plupart du temps. Cependant, et contrairement à l'époque du baroque, la foi et l'espoir sont les grands absents des Veilles. Les paroles consolatrices de l'Église ne sont que mensonge. Dieu n'existe pas. Ce qui nous attend à la fin, c'est le Néant.

Le veilleur de nuit est un être solitaire. Au cours de ses promenades nocturnes, il se sent « comme le prince d'une ville enchantée dont les habitants, par une puissance maléfique, ont été changés en pierre ». Pour le comprendre, il faut se référer aux doctrines de l'idéalisme romantique, ou encore à Fichte, selon qui chaque moi façonnait le monde, par une création répétée et poursuivie d'instant en instant. Mais le moi n'était rien de stable. Dans son isolement suprême, il se scindait. D'où la quête incessante de l'identité qui hante le veilleur de nuit, d'où aussi le goût du jeu et de l'ironie, d'où enfin l'importance des masques que nous trouvons constamment dans les Veilles.

Dans celles-ci, le veilleur de nuit nous raconte plusieurs épisodes de sa vie. Enfant trouvé, il a d'abord appris le métier de cordonnier. Puis il a rédigé des pamphlets, et il s'est fait arrêter par la police. Chanteur de rues, il dénonce les abus : ainsi, il se crée des ennemis et finit par être enfermé dans un asile d'aliénés. C'est là qu'il vit ses seuls moments de bonheur, amoureux d'une actrice qui se prend pour Ophélie. Le veilleur de nuit jouera le rôle d'Hamlet, imagination et réalité se mêlant intimement. Rendu au monde des « gens raisonnables », il travaille dans un théâtre de marionnettes où il monte la pièce Judith et Holopherne : le public, pris par la fièvre de la grande Révolution, exige la tête du bourgmestre. Le tumulte apaisé, les marionnettes sont saisies, et la censure interdit toute « représentation satirique ». Il ne reste que le rire amer et... le fou rire. À la fin du roman, le veilleur de nuit rencontrera sa véritable mère, une mystérieuse bohémienne qui le conduira auprès de la tombe de son père, un alchimiste qui avait été en rapport avec le Malin. Là, il s'entretiendra avec les vers, puis avec son père. Dès qu'il touchera le corps de celui-ci, apparemment bien conservé, tout tombera en poussière. « Je disperse au vent cette poignée de poussière paternelle, dit le veilleur de nuit, et il ne reste... Rien ! et l'écho, dans l'ossuaire, répond pour la dernière fois : Rien ! »

— Erika TUNNER

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Écrit par

  • : professeur titulaire (littérature et culture allemandes) à l'université de Lille-III

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