LES YEUX DE MONA (T. Schlesser) Fiche de lecture
Décrire et raconter
Au terme de ce prologue, Schlesser construit son roman autour des cinquante-deux œuvres – une par semaine –, classées par ordre chronologique, que le grand-père fait découvrir à sa petite-fille (elles sont reproduites à l’intérieur de la jaquette dépliable). L’architecture des chapitres reste la même tout au long de l’ouvrage. Après quelques paragraphes consacrés à l’évolution du symptôme de Mona et à ses rapports avec sa famille ou ses amies, l’auteur décrit l’œuvre qu’il a choisie dans les collections des trois musées parisiens avant de laisser la parole à ses personnages. De son commentaire, fort bien documenté sur Botticelli, Watteau, Mondrian ou encore Louise Bourgeois, Henry s’emploie aussi à tirer une leçon de vie, jugée utile à la fillette. Parallèlement à cette intrigue principale, l’écrivain tisse une intrigue secondaire, traversée de psychologie et de débats de société, sur l’origine même du symptôme. On découvre ainsi au fil du texte – et de quelques séances d’hypnose pratiquées par l’ophtalmologue – qu’il est lié à la grand-mère de Mona et au tabou de sa mort, sept ans auparavant. Quand, enfin, le silence familial qui entoure cette disparition est comblé par des mots, le voile noir qui obscurcit la vision de l’enfant n’a plus de raison d’être...
Le succès des Yeux de Mona repose sur la capacité de Thomas Schlesser à rendre accessible les œuvres tout en les dotant d’une puissance presque thaumaturgique. Si le livre reflète sa gourmandise pour l’art et, avec elle, la jouissance des enseignements qu’il en tire, il peine à aboutir à l’articulation complexe et fragile d’une narration, d’un langage et d’une structure, qui constitue l’essence du roman. L’artificialité de la construction apparaît au gré de la répétition des chapitres. Le cadre que l’écrivain s’est fixé le contraint à se conformer à une histoire de l’art aussi rigoureusement ordonnancée que dans un manuel. Or le texte, célébration fervente de la création artistique, aurait gagné à prendre davantage de liberté avec son sujet. En outre, l’incarnation du personnage de Mona dans la langue, face au flot docte de son aïeul, se révèle difficile. Ce n’est pas tant, comme certains ont pu le souligner, que l’auteur rompt le pacte de lecture en ne respectant pas le niveau d’expression d’une enfant de dix ans – Vladimir Nabokov avec Ada (Ada ou l’ardeur, 1969) ou, dans un autre genre, Roald Dahl avec Matilda(1988) ne le faisaient pas non plus –, mais que le travail de cette voix échoue à la singulariser au point de vue littéraire.
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Écrit par
- Camille VIÉVILLE : docteure en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art, auteure
Classification
Média