LETTRE À D'ALEMBERT SUR LES SPECTACLES, Jean-Jacques Rousseau Fiche de lecture
La fête contre le théâtre
Tout porte à croire que Rousseau condamne le théâtre en soi comme il condamnerait toute forme de re-présentation : le théâtre propose le mal en « exemple ». Et son ressort étant l'« intérêt », c'est-à-dire l'identification, le personnage agit sur le spectateur par « séduction du vice ». Voir, montrer, pousserait à imiter non pas le bien, qui n'« intéresse » pas, car le théâtre agit sur les passions, mais le mal, qui seul produit un effet. Quant à la vertu, elle est « reléguée à jamais sur la scène », comme un « jeu de théâtre ». Le seul fait de la mimésis est-il marqué d'une tache originaire ?
Ce n'est pourtant pas la mimésis en soi qui est affectée de négativité. Rousseau condamne la seule imitation « poétique », vouée à l'illusion. Au théâtre, il oppose donc la fête, qui ne redouble rien, parce qu'elle annule la division acteur-spectateur : « donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes ». La fête s'oppose au théâtre comme la communauté à la solitude ou plutôt à la « communion médiate » (Jean Starobinski) : « Plus j'y réfléchis, écrit Rousseau, et plus je trouve que tout ce qu'on met en représentation au théâtre, on ne l'approche pas de nous, on l'éloigne. » La fête n'est pourtant pas exactement négation de la représentation : « Qu'y montrera-t-on ? Rien, si l'on veut. » « Mimésis de rien » (P. Lacoue-Labarthe), mais mimésis encore. La fête est cet « immédiat second » auquel le contrat social donnera un autre accès par la démocratie. Car théâtre et démocratie ont eu jadis partie liée. La Grèce antique est cette patrie de la presque nature, ce « théâtre antérieur », cette « autre scène » que Rousseau convoque pour nous rappeler que la mimésis n'est pas la chute hors de l'état de nature, mais le signe même de l'homme par lequel, plus débile que tous les autres animaux, il s'approprie le monde et le figure.
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Écrit par
- Anouchka VASAK : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers
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