LETTRE DE SIBÉRIE, film de Chris Marker
Ciné-phrases et ciné-prétexte
Dans un récit jamais linéaire marqué par un certain désordre au prix d'un montage saccadé, Marker bouleverse les codes du documentaire. La Sibérie apparaît en toile de fond comme un décor ou un prétexte, pour poser à des milliers de kilomètres de Paris des questions plus essentielles sur le statut de l'image et du regard. Par exemple, la réparation d'une rue d'Irkoutsk par des ouvriers peut-être vue comme la façade d'un paradis, puis comme celle d'un enfer, avant d'apparaître sous l'angle plus objectif de la simple observation. Les troupeaux de rennes renvoient à un plan sur la station du métro Rennes à Paris pour en faire la publicité. Le commentaire s'autorise à transcender en permanence la banalité des images (visages, forêts, turbines industrielles...) mettant ainsi en question le processus filmique. Que penser de l'objectivité des images ? En utilisant toutes les ressources de la composition filmique, alliant la subjectivité du voyageur au style épistolaire, Marker s'interroge sur le sens de ses images. Ces interrogations de fond sur le monde contemporain font ainsi irruption dans le corps d'un monologue très souvent ironique.
Chris Marker impose un style spécifique de regard documenté. En 1958, à la sortie du film, le critique de cinéma André Bazin pouvait observer dans les Nouvelles littéraires : « Ici l'image ne renvoie pas à ce qui la précède ou ce qui suit mais latéralement en quelque sorte à ce qui en est dit. » Chasseur d'images, Marker utilisera ultérieurement sa caméra comme une arme dans ses multiples traversées du monde. Dans Le Tombeau d'Alexandre (1993), Marker réemploiera ce procédé de lettres interrogatives dans un film testament et bilan de l'U.R.S.S.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
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MARKER CHRIS (1921-2012)
- Écrit par Guy GAUTHIER
- 2 154 mots
...reconnaîtra plus tard dans Immemory (1996), de ce premier bagage qui accompagne toute une vie. Il cite beaucoup, en passant, sans s'attarder. Dans Lettre de Sibérie(1957), il révèle discrètement les lectures qui l'ont marqué : Henri Michaux, Jules Verne, Blaise Cendrars, Jean Giraudoux,...