LETTRES À LUCILIUS, Sénèque Fiche de lecture
Un itinéraire philosophique
C'est en vingt livres que l'on a eu coutume de répartir ces lettres. En fait il serait possible, en fonction du souci pédagogique de l'auteur, et des progrès de son interlocuteur, de les répartir en quatre groupes qui marquent les étapes d'un cheminement qui conduit d'une exhortation à la philosophie aux considérations les plus précises sur le souverain bien et la morale. Ainsi, dans les vingt-neuf premières lettres, (soit les trois premiers livres), pour ne pas heurter l'épicurisme de son interlocuteur et éviter de lui imposer sa conception de la sagesse, Sénèque n'hésite pas à faire références à Épicure, voire à montrer tout ce que sa pensée peut avoir de commun avec celle que professent les stoïciens. Une fois que celui-ci a été préparé à la philosophie et mis en confiance, Sénèque peut commencer (livres IV et V) à introduire son correspondant et ami aux rigueurs qu'exige une telle discipline. Les livres VI à XIII (lettres 53 à 88) entrent plus vivement dans le sujet : la vertu est le souverain bien. « Être à soi-même » n'est possible qu'à condition de se soustraire aux pièges de la Fortune, et de se conduire conformément à la raison. La « santé de l'âme » est définie comme autarcie : « celle-ci se suffit à elle-même ; elle a confiance dans ses forces ; elle sait que tout ce que réclament les mortels en leurs vœux, que toutes les grâces qui se demandent et qui s'accordent ne sont d'aucun poids pour le bonheur » (lettre 72). Diriger spirituellement son ami, c'est aussi pour Sénèque progresser sur la voie de la sagesse. Enseigner autrui, c'est apprendre à soi-même ce que l'on enseigne. Le rapport à soi passe par l'autre, qui est pour le moi l'occasion de se perfectionner. Les vingt-quatre dernières lettres (Livres XIV à XX) contiennent des analyses plus proprement théoriques. L'épicurisme est discuté, voire réfuté (pas toujours de façon très rigoureuse), le stoïcisme apparaît comme la seule doctrine conforme à l'idéal du sage. « La vertu est chose qui s'apprend. Le plaisir est bas, futile, sa valeur est nulle, il nous est commun avec les bêtes brutes, il attire les insectes et les êtres les plus méprisables. La gloire est illusoire et inconstante, changeante comme le vent. La pauvreté n'est un mal que si l'on se débat contre elle. La mort n'est pas un mal... » (lettre 123).
L'influence posthume de ces Lettres fut considérable, Tertullien, Lactance, saint Jérôme les admirèrent, Montaigne en fit son livre de chevet, Diderot les commenta dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron. L'historien contemporain Paul Veyne les édita et annota avec passion. Une sagesse pour notre temps ?
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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Média