LETTRES À MIRANDA SUR LE DÉPLACEMENT DES MONUMENTS DE L'ART DE L'ITALIE, Antoine Quatremère de Quincy Fiche de lecture
Introducteur en France de la pensée de Winckelmann, le théoricien du néo-classicisme, Antoine C. Quatremère de Quincy (1755-1849) a été l'un des pionniers de l'archéologie scientifique et l'un des « antiquaires » les plus écoutés de son temps. Réduire sa figure intellectuelle aux idées développées dès 1788 dans le premier volume de son Dictionnaire d'architecture, ou à la rigueur académique dont il se fit le champion passéiste au cœur des années romantiques, serait une erreur d'appréciation. Le texte polémique connu sous le nom de Lettres à Miranda, publié en juillet 1796 sous un premier titre – Lettre sur le préjudice qu'occasionneraient aux arts et à la science le déplacement des monuments de l'art de l'Italie, le démembrement de ses écoles et la spoliation de ses collections, galeries, musées, etc. –, puis oublié par l'historiographie depuis l'édition qui en fut faite en 1836, a retrouvé, grâce aux travaux d'Édouard Pommier, inspecteur général des musées de France, toute sa place dans l'histoire des combats d'idées qui marquèrent la fin de la période révolutionnaire. Avec force, Quatremère s'oppose au déplacement des œuvres d'art qui arrivent d'Italie sous le Directoire, à la suite de la campagne du général Bonaparte. Le problème que pose ce texte dépasse l'événement anecdotique, si important qu'il ait été dans l'histoire de la constitution des musées européens : peut-on voir une œuvre d'art hors du contexte et du milieu qui lui ont donné naissance ? « Diviser c'est détruire », écrit Quatremère, s'élevant ainsi contre le principe même du musée encyclopédique centralisateur, alors que se construisait ce qui devait devenir quelques années plus tard le musée Napoléon, le Grand Louvre de Dominique-Vivant Denon. Pour Quatremère, Rome doit rester dans Rome car « le pays est lui-même le muséum ».
Quatremère face aux conquêtes artistiques de la Révolution
Quatremère connaît bien l'Italie, où il a vécu. Passionné par les récentes découvertes archéologiques, il s'est engagé dans la lutte menée par le peintre Jacques Louis David contre le système académique. Monarchiste constitutionnel, député à l'Assemblée législative en 1791, emprisonné sous la Terreur, il vient d'être libéré après Thermidor et la chute de Robespierre en 1794. Inquiété à nouveau après les émeutes royalistes de 13 vendémiaire, il s'est réfugié outre-Rhin, d'où il ne rentrera qu'après le 18 brumaire, profitant de la paix civile instaurée par Bonaparte. Son texte est donc un brûlot d'opposition. Le Directoire mène une importante politique artistique : Paris, capitale de la Liberté, nouvelle Athènes prête à devenir nouvelle Rome, est la patrie naturelle des arts. Les chefs-d'œuvre de tous les peuples, et en particulier les plus beaux témoignages de l'art antique, doivent venir orner la capitale du monde nouveau issu de la Révolution. Ni rapines, ni spoliations, les « déplacements » d'œuvres, selon l'idéologie forgée sous le Directoire et consolidée ultérieurement sous l'Empire, sont nécessaires. L'École française s'était abâtardie dans les dernières années de l'Ancien Régime, elle doit se régénérer par l'exemple et la fréquentation quotidienne des grands exemples des époques anciennes de l'art. Et le monde entier devra défiler dans cette ville-musée d'où les idées neuves de Liberté et d'Égalité rayonneront d'autant mieux sur le monde qu'on y verra le décor d'une vraie capitale démocratique. Ce sont les idées développées alors notamment par Armand Guy Kersaint (1742-1794), député à la Convention.
L'interlocuteur de Quatremère est un héros romanesque de ce temps, le général[...]
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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