LETTRES À MIRANDA SUR LE DÉPLACEMENT DES MONUMENTS DE L'ART DE L'ITALIE, Antoine Quatremère de Quincy Fiche de lecture
Portée philosophique du débat de 1796
La controverse de 1796 porte donc sur la conception de l'histoire, le rôle de la France dans le développement de la civilisation et surtout dans la genèse de l'idée de musée, démocratique et pédagogique, succédant aux collections des papes, des princes et des souverains.
Édouard Pommier a parfaitement montré comment le texte de Quatremère se fait l'écho d'un vaste débat engagé dans la presse de l'époque, et dont il synthétise les arguments. Miranda aurait écrit ces lignes dans le journalLe Véridique, ou Courrier universel, sans les signer de son nom : « Concluons donc que la spoliation déjà commencée est aussi funeste en général aux Beaux-Arts qu'elle est tortionnaire et impolitique, puisqu'elle ne peut qu'aliéner de nous[sic]tous les peuples voisins... » La position de Quatremère est, au sens propre, contre-révolutionnaire. Elle emporte avec elle d'importantes conséquences : « l'esprit de conquête, dans une république, est entièrement subversif de l'idée de liberté », ou ceci encore : « les arts en Europe forment depuis longtemps une république » dont l'équilibre vient d'être rompu. Sa vision est du coup européenne : « les arts et les sciences appartiennent à toute l'Europe et ne sont plus la propriété exclusive d'une nation ». L'analyse de Pommier souligne bien le paradoxe : « à l'idéologie des Lumières, Quatremère oppose la communauté des Lumières ». Le seul musée qui vaille est selon lui celui où l'art s'impose, sur place, dans son contexte. Quatremère condamne sans appel ces « grands emmagasinements de modèles » que sont les musées modernes. Pour lui, le musée universel arrache les pages du livre de l'histoire pour les recoller en désordre.
Position lourde de conséquences, parfaitement discordante avec la pensée dominante de l'époque. De nos jours, ces pages demeurent pertinentes lorsque le gouvernement grec persiste à réclamer des marbres du Parthénon conservés au British Museum ou à Paris, lorsqu'on ouvre des salles de sculptures d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques dans le pavillon des Sessions du musée du Louvre. Le débat liant les arts du passé et leur présentation au musée, idéologie récente et quête des origines – les arts dits « premiers » jouant le rôle des antiques de référence – se poursuit ainsi à travers les siècles, rendant indispensable la lecture de ce texte bref mais très riche, écrit en 1796, sous le coup de la colère, par le citoyen Quatremère.
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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