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LETTRES DE FUITE et RUINES BIEN RANGÉES (H. Cixous) Fiche de lecture

Après plus de vingt années de compagnonnage avec les éditions Galilée, Hélène Cixous accomplit un retour en force chez Gallimard, où s’amorce une entreprise éditoriale d’envergure. Au lumineux Ruines bien rangées (2020), court récit qui s’inscrit dans la continuité directe de Gare d’Osnabrück à Jérusalem (Galilée, 2016) et de 1938, nuits (Galilée, 2019), s’adjoint en effet le volumineux Lettres de fuite (2020), premier tome d’une publication qui devrait en compter une quinzaine : il s’agit de la retranscription intégrale des propos qu’Hélène Cixous a tenus dans le cadre du séminaire qu’elle anime depuis 1974 et qui se poursuit au sein du Collège international de philosophie, à raison de deux journées par mois. Restituant la puissance d’aimantation de la parole d’Hélène Cixous parlant de littérature, ce premier volume recueille les séances données de septembre 2001 à juin 2004, soit trois années universitaires.

Apprendre à lire

C’est faute de disposer d’archives sonores couvrant les deux premières décennies du séminaire que l’équipe éditoriale dirigée par Martha Segara a décidé d’entamer la publication par les séances de l’automne 2001. Hélène Cixous ouvrait alors un nouveau cycle en s’emparant de l’œuvre de Marcel Proust. D’où le titre du volume qui joue avec « l’être de fuite » qu’est à jamais Albertine de la Recherche.

Il aurait aussi bien pu s’intituler « Lectures de Proust », à condition de l’entendre au sens le plus fort du terme : on ne peut ici que s’en souvenir, les mots « lire » et « intelligence » partageant la même étymologie (legere, « cueillir »). Toujours, l’érudition d’Hélène Cixous reste mobilisée au service de l’interprétation, phrase après phrase, levant comme des lièvres les ambivalences volontaires ou non, les significations conscientes ou inconscientes qui agissent dans la profondeur du texte. Avec le grand luxe qu’offre la durée dans pareil exercice, la lecture en devient art en train de se réaliser, sous nos yeux. Le registre oral si particulier d’Hélène Cixous nous la fait entendre dans sa scansion lente, pesant chaque mot. Ainsi lorsqu’elle détaille tout ce qui se joue à travers l’initiation du narrateur encore jeune au geste artistique par le peintre Elstir, qui s’emploie, dans son atelier de Balbec, à peindre « ce qui est » et non pas ce qu’il convient de voir, à rebours d’une peinture académique prétendant recouvrir d’un voile de beauté, illusoire, le réel aussi insaisissable à nos mots qu’Albertine peut l’être aux soins jaloux, insupportables, du narrateur.

Lumineuse et surtout éclairante, cette lecture relève d’un travail d’atelier ; reviennent sur le métier des thématiques qui, à force de se croiser, ne cessent de s’enrichir exactement comme un texte peut s’étoffer à force de tramer les différents fils qui le constituent. C’est que lecture et écriture ne font qu’un dans la pratique d’Hélène Cixous. L’étude des œuvres à laquelle elle se livre de séance en séance n’est jamais une fin en soi, mais le dévoilement d’un cheminement, un travail d’interprétation ouvert sur le monde : « La littérature [...] nous donne l’occasion d’apprendre à lire tout, à tout lire, aussi bien un texte littéraire qu’un visage, la configuration d’une table, un événement, une structure », dit-elle en 2004.

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