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LETTRES, Madame de Sévigné Fiche de lecture

Madame de Sévigné, née Marie de Rabutin-Chantal (1626-1696), est une familière du Marais, quartier aristocratique de Paris dont elle connaît tous les salons. Elle a lu les romans précieux de Mlle de Scudéry, connaît la littérature italienne dans le texte et se tient au courant de tout ce qui advient, à la ville comme à la cour, dans le quotidien des choses comme dans les cercles les plus hauts. Grande aristocrate d'origine, elle est veuve, donc libre et riche, à l'âge de vingt-cinq ans. Elle fréquente les beaux et grands esprits, et correspond avec eux : Ménage, son ami ; Bussy-Rabutin, son cousin ; Mme de La Fayette, sa rivale ; Chapelain, sa référence docte ; Retz, son parent frondeur. On la voit aussi entourée de Turenne et des ministres Servien et Fouquet, au point qu'on parle d'elle dans les gazettes. Mlle de Scudéry la peint dans Clélie sous les traits de « Clarinte » et elle devient « à la mode » grâce à son esprit dans la conversation, mais fort peu pour ses lettres. Une aristocrate lancée devait savoir écrire, mais n'en faire pas état.

Une « conversation en absence »

Si Madame de Sévigné ne manqua pas de correspondants (Fouquet et Bussy-Rabutin, notamment), la correspondance qui marqua l'histoire littéraire fut celle qu'elle entretint avec sa fille, Françoise-Marie, mariée au comte de Grignan en 1669, et établie dans la Drôme dès 1671 lorsque celui-ci fut nommé lieutenant général de Provence. Deux jours après que la jeune femme fut partie, les lettres commencèrent, décrivant le désarroi d'une femme de quarante-cinq ans séparée de sa fille. Ce fut dès lors une habitude que d'écrire, une manière d'être, de « causer », de parler de soi, de peindre l'univers et d'entrer en aristocrate dans le monde des Lettres. Deux ou trois fois par semaine les courriers se croisaient, les jours de poste, et dialoguaient, dans une conversation scripturaire ou, comme on le lit, « une conversation en absence » dont nous n'avons plus qu'un seul aspect, car les lettres de Madame de Grignan sont perdues : « Mais si vous songez à moi, ma pauvre bonne, soyez assurée aussi que je pense continuellement à vous. C'est ce que les dévots appellent une pensée habituelle, c'est ce qu'il faudrait avoir pour Dieu, si l'on faisait son devoir » (9 février 1671).

Ainsi, de Paris, de Livry, des « Rochers » en Bretagne, Madame de Sévigné notait pour sa fille ses émotions, ses pensées, ses actions. On pourrait croire que ce fut une séparation définitive, tant le ton des lettres est souvent dramatique. Pourtant, le temps des séparations (huit ans et demi en neuf fois) fut très inférieur à celui où les deux femmes se trouvèrent réunies (dix-sept années, en Provence où Madame de Sévigné se rendait, ou à Paris lorsque Mme de Grignan le pouvait).

À travers ces lettres se lit une manière d'itinéraire spirituel qui recoupe celui de la classe et du groupe d'amis de Madame de Sévigné : une désinvolture amusée pour le monde, un ressentiment aristocratique aussi, puis une retraite, une étude en matière religieuse qui, via Nicole et saint Augustin, mène à la profondeur inquiète de l'âme et à des réflexions toutes proches du jansénisme, enfin, un commentaire sur la vieillesse, qui, par sa sérénité, tente de réconforter sa fille qui avait été dépouillée de la plupart de ses biens lors du mariage de son fils Charles, en 1684. Blessées, isolées, les deux femmes se retrouvèrent en 1690 pour six ans de vie commune, jusqu'à la mort de cette mère très attentive et très prolixe, à l'âge de soixante-dix ans.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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