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LETTRES, Madame de Sévigné Fiche de lecture

L'écriture du quotidien

Bussy-Rabutin fut le premier à publier les écrits de la marquise de Sévigné, dans ses Mémoires, sous forme de pièces insérées. Un premier recueil de 28 lettres fut publié en 1725 (Lettres choisies de Mme la marquise de Sévigné à Mme de Grignan, sa fille, qui contiennent beaucoup de particularités sur l'histoire de Louis XIV), suivi d'autres recueils comportant un nombre beaucoup plus grand de lettres en 1726, 1728, etc., d'abord sans l'accord de la famille. Et lorsque la publication des correspondances et des mémoires eut acquis la dignité d'un genre à part entière, Pauline de Simiane, fille de Mme de Grignan, se chargea de faire publier les lettres de sa grand-mère entre 1734 et 1737 (674 lettres), puis en 1754 (772 lettres), en brûlant ensuite la plupart des originaux. Les siècles suivants durent s'appuyer sur les correspondances et les textes recopiés en manuscrit pour préciser ces premières éditions et retrouver d'autres lettres. On en connaît aujourd'hui 1 120, dont 764 à sa fille, 126 à Bussy-Rabutin et 220 à vingt-neuf autres destinataires.

Si le tout premier titre peut engager à penser que la marquise est une sorte de « gazetière », puisque ses lettres contiennent beaucoup de particularités sur l'histoire de Louis XIV, on doit bien constater que cette correspondance s'occupe principalement du « particulier » : autrement dit de tout ce qui touche le privé, le quotidien, et surtout les états d'âme d'une mère, aristocrate de la seconde moitié du xviie siècle. C'est pourquoi, il est tout à fait possible de les lire avant tout comme des documents capables de rendre compte des mentalités, et comme des sources majeures d'information historique ; mais aussi comme des œuvres qui s'éloignent du milieu mondain pour viser au naturel et à l'honnêteté de la conversation tels que les avaient rêvés les critiques des générations précédentes. Style donné comme « négligé », approfondissement du sentiment élégiaque de l'absence, plaisir fugace de la vie immédiate, goût mondain et galant, enfin enjouement sincère ou convenu, la prose de Madame de Sévigné semble mélanger les tons, cultiver les proverbes, les sentences « libres » avec distance, gaieté et « bon ton ». C'est le moment où la littérature parle de soi, sans pesanteur pour son destinataire, en le considérant, à proprement parler, c'est-à-dire en envisageant toujours sa lecture et ses réactions. Madame de Sévigné caresse l'art de plaire, individuellement, en laissant transparaître sa personnalité de femme, consciente de son tempérament comme de sa spécificité.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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