LETTRES PHILOSOPHIQUES, Voltaire Fiche de lecture
Les Lettres philosophiques furent publiées par Voltaire (1694-1778), sous différentes formes, en 1733 et 1734. Aux versions de 1733 qui contiennent vingt-quatre lettres en langue anglaise (Letters Concerning the English Nation) ou française (Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets) succède l'année suivante une version augmentée d'une vingt-cinquième lettre, qui adopte le titre définitif de l'œuvre.
Exilé à Londres à la suite de son altercation avec le chevalier de Rohan, Voltaire apprend à connaître le pays qui l'accueille, où se manifeste l'esprit nouveau dans la philosophie aussi bien que dans l'économie. Pour son propos, il a sans doute envisagé d'abord la forme de la relation épistolaire, comme l'affectionnaient les voyageurs de l'âge classique et comme le président de Brosses en fournit le modèle avec ses Lettres d'Italie. Mais le témoignage personnel et anecdotique cède bientôt devant l'essai et la prise de position. L'adjonction d'une lettre sur Pascal achève de faire de ces Lettres anglaises des Lettres philosophiques qui vantent l'empirisme et la tolérance, et constituent un des premiers manifestes en faveur des Lumières. Le terme « philosophe » va très vite devenir synonyme de partisan des Lumières et, après 1751, d'encyclopédiste.
Une apologie de la tolérance
Le livre s'ouvre sur la confrontation du narrateur français, rompu aux coutumes de la cour, et d'un quaker, « vieillard frais qui n'avait jamais eu de maladie, parce qu'il n'avait jamais connu les passions ni l'intempérance » et qui se refuse à toute forme extérieure de politesse ou de mondanité. Bien des principes sont par lui réduits à de simples préjugés : « Nous ne pensons pas que le christianisme consiste à jeter de l'eau froide sur la tête, avec un peu de sel. » Les quatre premières lettres sont ainsi consacrées aux quakers, à leurs chefs charismatiques, George Fox et Guillaume Penn, et à la fondation de la Pennsylvanie. Elles sont suivies par les lettres 5 (sur la religion anglicane), 6 (sur les presbytériens) et 7 (sur les sociniens, ou ariens, ou antitrinitaires), ce qui offre un premier panorama religieux d'un pays où parviennent à coexister en paix des croyances différentes. Les trois lettres suivantes sont politiques, sociales et économiques : elles présentent le Parlement (8), le gouvernement (9), l'acceptation du commerce par la noblesse (10). Voltaire peut alors exposer l'esprit expérimental et la philosophie nouvelle. L'exemple de « l'insertion de la petite vérole » – l'ancêtre de notre vaccination – pour lutter contre les ravages alors causés par la variole, illustre le pragmatisme anglais et le sens d'une recherche concrète, capable d'améliorer la condition humaine (11). Cet esprit novateur, libre de toute censure, s'affirme chez le chancelier Bacon, théoricien de l'expérience (12), chez Locke, théoricien de l'empirisme qui définit l'individu par ses expériences et non plus par une quelconque naissance ou essence (13), et chez Newton, théoricien de la gravitation universelle (14 à 17). Face à cette pensée de l'empirisme, Descartes risque d'apparaître comme le « romancier » de la philosophie.
Une quatrième partie concerne la littérature : la présentation admirative de l'Angleterre y est nuancée par le maintien d'un préjugé classique. Voltaire informe un public français, souvent peu averti de ce qui se passe hors de ses frontières : il traite de la tragédie, dominée par la figure de Shakespeare (18), de la comédie (19), de la poésie pratiquée par les gens du monde, Hervey, Rochester et Waller (20 et 21), de Pope et Swift (22). Il accompagne sa présentation des écrivains par la traduction de fragments de leurs œuvres. Les vingt-troisième et vingt-quatrième[...]
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Écrit par
- Michel DELON : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
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