LEUCÉMIES
Le mot « leucémie » apparaît pour la première fois sous la plume de Rudolf Virchow, qui décrit en 1845 un envahissement du sang par les globules blancs (weisses blut, « sang blanc »). Faute de disposer à cette époque de méthodes de coloration pour l'examen des cellules au microscope, il n'était guère possible de distinguer leurs particularités d'une leucémie à l'autre, de telle sorte que ce terme a longtemps été décliné au singulier. L'inventaire des leucémies commence lorsque Paul Ehrlich, à la fin du xixe siècle, a l'idée d'utiliser les propriétés colorantes de l'aniline (développées depuis peu dans l'industrie textile) pour examiner des cellules et tissus au microscope. En l'attente d'autres moyens d'investigation qui ne viendront que beaucoup plus tard, les médecins apprennent alors à classer ces affections selon l'aspect des cellules du sang, l'envahissement des organes – en particulier de la rate, des ganglions, de la moelle osseuse –, et surtout la désorganisation de la production des cellules du sang normal, précocement dans le cas des leucémies aiguës, plus tardivement dans l'évolution des leucémies chroniques. On comprendra très vite que la présence des cellules leucémiques dans le sang n'est que la conséquence de leur prolifération anormale dans la moelle osseuse, leur présence dans le sang n'étant ni immédiate, ni même constante, ce qui vaudra une certaine fortune au terme ambigu de leucémie « aleucémique ».
Ainsi, dès le début du xxe siècle, on dispose d'une première ébauche de classification selon l'aspect des cellules colorées examinées au microscope. Lorsque les cellules observées reproduisent l'aspect des globules blancs du sang normal, la leucémie est désignée comme lymphoïde (lymphocytes) ou myéloïde (polynucléaires). Ces formes évoluent sur un mode longtemps chronique. Lorsque les cellules ont un aspect plus immature, elles sont appelées leucoblastes. Selon les cas, ces leucoblastes rappellent l'aspect de lymphocytes immatures (leucémie à lymphoblastes), ou celui de cellules myéloïdes immatures (leucémie à myéloblastes). Ces formes évoluent sur un mode aigu. Ce schéma de classification reste valide aujourd'hui, même s'il s'est affiné et enrichi considérablement grâce aux techniques modernes d'analyse des cellules. Dans certains cas, la distinction entre formes lymphoblastiques et non lymphoblastiques (ou myéloïdes) peut être ambiguë.
En pénétrant au sein de l'intimité de ces cellules, la microscopie électronique, la cytogénétique (études des anomalies chromosomiques), l'immunologie cellulaire, la génétique moléculaire ont permis en une trentaine d'années de décrire en partie les phénomènes qui sont à l'origine du comportement anormal des cellules leucémiques et bouleversé notre compréhension du phénomène de leucémogenèse. Pendant cette même période, les médecins ont appris à créer et maîtriser des moyens thérapeutiques qui permettent aujourd'hui de modifier favorablement l'histoire naturelle de la plupart de ces maladies. D'affections constamment mortelles, nombre de leucémies sont devenues des maladies curables.
La leucémogenèse
Comment une cellule devient-elle leucémique (ou, plus précisément, maligne) ?
Les cellules de l'organisme – neurones exceptés – ont un cycle de vie relativement court, de quelques jours à plusieurs semaines ou mois selon le type de cellule. Pour les cellules du sang, les globules rouges vivent 120 jours, les plaquettes 10 jours, les polynucléaires neutrophiles 2 à 5 jours, les lymphocytes quelques jours à plusieurs mois. La stabilité du nombre de ces cellules dans le sang est le fruit d'un équilibre entre la mort de ces cellules par vieillissement et le processus de fabrication[...]
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Écrit par
- Michel LEPORRIER : professeur des Universités, praticien hospitalier, chef du service d'hématologie clinique au C.H.U. de Caen
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