LEUCIPPE (Ve s. av. J.-C.)
Abdère, Milet, Élée... se disputent la gloire d'être le lieu de naissance de Leucippe. Il fut le disciple de Parménide, de Mélissus, de Zénon, de Pythagore. Aristote parle presque toujours de « Leucippe et Démocrite » ; Nietzsche appelle le maître et son célèbre disciple « deux doubles ». Pour Épicure enfin, il n'y eut pas de philosophe nommé Leucippe (Diogène Laërce, X, xiii). Ainsi contradictoire, la doxographie dissout l'identité et jusqu'à l'existence de Leucippe. Or il n'a pas davantage laissé d'œuvre : d'un éventuel Grand Système du monde et d'un traité Sur l'esprit il ne resterait d'intact qu'un fragment d'une ligne, conservé dans Aetius (I, xxv, 4), selon lequel « aucune chose ne naît en vain, mais tout naît d'une raison [ou « du dire »] et sous la nécessité », toujours interprété et traduit comme une profession de foi mécaniste. La tradition et, d'abord, Aristote (on peut se référer, en particulier, à Metaphysica, A 4, 985 b, 4 sq. et De generatione et corruptione, A 8, 324 b, 35 sq.) imposent, en effet, l'image d'un Leucippe fondateur de l'atomisme, ou système satisfaisant à la fois à la vérité logique de l'être un et immobile des éléates et à la vérité expérimentale de la pluralité en mouvement soutenue par Empédocle et Anaxagore. L'être-un éléatique se monnaie en une infinité d'unités insécables et pleines nommées « atomes », en mouvement dans un non-être, « qui est tout autant que l'être », nommé « vide ». Les notions fondamentales de l'atomisme sont difficiles (mouvement par le vide, panspermie), et leur étude doit tenir compte des déformations qu'elles ont pu subir ; Aristote, par exemple, propose, en les énonçant, une véritable traduction des caractéristiques de l'atome : « rythme », « contact » et « trope » deviennent « figure », « ordre » et « position ». Ces déformations trouvent peut-être leur symbole dans l'extraordinaire imprécision de la biographie de Leucippe, qui, s'il a existé, vivait à la même époque que les sophistes, et dans la même situation d'étranger, c'est-à-dire de quelqu'un dont on ne parle pas ou qu'on tente d'assimiler.
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Écrit par
- Barbara CASSIN : chargée de recherche au C.N.R.S.
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