LEURS ENFANTS APRÈS EUX (N. Mathieu) Fiche de lecture
Écrivain et scénariste, Nicolas Mathieu est né à Épinal en 1978. Il est l’auteur de deux romans remarqués, Aux animaux la guerre(adapté sous forme d’une série télévisée) et Leurs enfants après eux (Actes Sud, 2018), couronné par le prix Goncourt. Les deux livres ont pour cadre commun la région natale de l’auteur, l’est de la France. Plus précisément, ce roman évoque la vallée de la Fensch (Moselle), autrefois foyer de l’industrie sidérurgique.
Un lent esseulement
Leurs enfants après eux se déroule au fil de quatre étés, entre 1992 et 1998. Des étés torpides, lourds d’orages qui éclatent rarement, lors desquels on traîne son ennui, des désirs vains, des ressentiments. Anthony a quatorze ans quand, au bord d’un lac, il rencontre Steph. Leurs enfants après eux est bâti autour de l’amour qu’Anthony éprouve pour la jeune fille et de la relation difficile qu’il entretient avec Hacine, un garçon issu de la ZUP des Trente-Glorieuses, en périphérie de Heillange, ville au cœur de l’action. Les retrouvailles avec Steph, devenue étudiante, constituent l’un des ressorts dramatiques de ce livre bâti comme un roman noir, dont il a l’écriture sèche, avec un usage de la langue parlée rendant l’intériorité des personnages.
D’autres figures gravitent autour de ces trois personnages, et chaque chapitre met en scène Anthony, Steph ou Hacine et leur famille, leurs amies, leurs connaissances. On vit de petits trafics, on étudie sans que cela mène quelque part, on fréquente les mêmes bistrots. On cherche souvent à quitter cette vallée à l’écart, qui n’a plus rien à donner et ne se remet pas d’avoir perdu sa puissance industrielle depuis que les hauts-fourneaux ont fermé, jamais remplacés. Pourtant, de ces lieux, les protagonistes ne peuvent vraiment partir, pris par « l’effroyable douceur d’appartenir », dernière phrase du roman, image vivante de la contradiction vécue.
Il est diverses façons de lire Leurs enfants après eux, par exemple comme le roman des prémices. Nous vivons quelque trente ans après ce que raconte le narrateur. Cette « France d’en bas », qui survit avec les moyens dont elle dispose, semble annoncer celle que décrit Christophe Guilluy dans La France périphérique (2014), où le géographe explique « comment on a sacrifié les classes populaires », pour reprendre le sous-titre de son essai. Le roman de Nicolas Mathieu, lui, s’attache à des existences, place l’intime au cœur de ses préoccupations. Les destins d’Anthony, de Steph ou de Hacine s’incarnent et touchent, parce que la grille sociologique du géographe s’efface devant des personnages dont les sentiments, les émotions et les actes ne font pas l’objet d’un roman à thèse ou engagé. Et, si l’on retrouve dans l’écriture, dans cette sensibilité de l’écrivain, quelque chose de la tradition réaliste, cela tient avant tout à la qualité de l’observation et à l’absence de jugement moral. Tous ces personnages ont – pour reprendre le mot de Jean Renoir – « leurs raisons », et chacun trouve sa place et sa dignité dans la fiction. C’est en cela que le roman est politique : il laisse à chacun la possibilité d’exister, de s’exprimer, et met à nu les contradictions, les indices de crise. Par la voix du narrateur, Nicolas Mathieu raconte et commente la disparition des usines, puis l’expansion des nouvelles zones commerciales tandis que ferment une à une les boutiques des centres-villes, déployant ainsi la perspective nécessaire à la profondeur de son récit.
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
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