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LEURS ENFANTS APRÈS EUX (N. Mathieu) Fiche de lecture

L’impossible transmission

Leurs enfants après eux évoque des transmissions manquées, des héritages qui ne se font pas. Ou, plutôt, il décrit l’héritage du ratage et de la solitude. Autant dire que, dans ce lieu et ces circonstances, l’école républicaine, celle du mérite et de l’ascenseur social, a depuis longtemps perdu toute once de prestige, même symbolique. L’opposition de classes a fortement joué. Steph et son amie Clem ont poursuivi des études et le soutien familial leur a permis de trouver place en ville, de ne pas trop subir la moquerie de ceux qui possèdent et savent. Mais la plupart des lycéens d’Heillange perdent pied après le bac, passant des concours administratifs et vivant l’ennui d’une province oubliée : « Ils seraient déçus, en colère, progressivement émoussés dans leurs ambitions, puis se trouveraient des dérivatifs, comme la constitution d’une cave à vins ou la conversion à une religion orientale. »

L’ironie parfois acerbe de Nicolas Mathieu rappelle celle d’un Houellebecq, voire celle du Perec des Choses. Les trois écrivains ont en commun le goût et le sens du détail concret, souvent liés à l’univers de la consommation, au monde des objets. Les marques, les publicités de l’époque, les émissions de télévision les plus populaires ou encore les chansons partagées sont ces indices d’une réalité passée qui sont autant de marqueurs du temps, semblables à ceux que l’on trouve dans Les Années, d’Annie Ernaux (2008).

La disposition des espaces, ce partage des territoires – zones pavillonnaires dans lesquelles on paie une maison à crédit pendant des décennies, demeures élégantes pour nouveaux riches ou travailleurs frontaliers enrichis au Luxembourg –, est un autre élément commun aux quatre écrivains. La géographie urbaine ou périurbaine est devenue un enjeu que le roman, celui-ci comme d’autres, met fortement en relief. On pourra le rapprocher ainsi de Passé inaperçu (Gabrielle Schaff, 2018), de La Condition pavillonnaire (Sophie Divry, 2014) ou, dans un autre registre, plus poétique, du Tombeau des anges (Gilles Ortlieb, 2011). Le jury Goncourt a ainsi couronné un jeune écrivain aux préoccupations sociales et politiques affirmées, dont le roman touchera un vaste public. En somme, il a répondu au testament des frères Goncourt, ce qui n’est pas toujours évident.

— Norbert CZARNY

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