LÉVIATHAN (A. Zviaguintsev)
Dans le sillon tracé par Andreï Tarkovski et Alexandre Sokourov, Andreï Zviaguintsev s'impose comme le meilleur représentant de la nouvelle génération des cinéastes russes. Son univers humaniste et spiritualiste est remarquablement mis en relief par l'écriture cinématographique. D'abord acteur de théâtre (il est diplômé de la célèbre école de Moscou en 1990), il décide de devenir cinéaste en 2000. Depuis cette date, chacun de ses films a été distingué par la critique : lion d'or du festival de Venise 2003 pour Le Retour ;prix d'interprétation masculine décerné à Konstantin Lavronenko au festival de Cannes 2007 pour Le Bannissement ;prix spécial du jury pour Elena au festival de Cannes 2011. Enfin, Léviathan a reçu le prix du scénario au festival de Cannes 2014.
Job en Russie
Le titre initial du film était Le Paternel. Mais, souhaitant imaginer une fiction opposant aujourd'hui en Russie l'homme et le pouvoir politique, le cinéaste a choisi pour titre définitif Léviathan, enréférence à deux textes emblématiques. D'une part, le Livre de Job, où Léviathan est présenté comme un monstre surgi du chaos primitif ; d'autre part, l’essai philosophique et politique de Thomas Hobbes, Léviathan (1651) dans lequel, pour écarter la menace de la guerre et obtenir la paix en société, les hommes remettent leur liberté entre les mains d'un État souverain : Léviathan, figure symbolique d'un État totalitaire. Si le titre du film renvoie à la Bible et au philosophe anglais du xviie siècle, son scénario s'inspire d'une nouvelle d'Heinrich von Kleist (« Michael Kohlhaas ») et d'un fait divers survenu en 2004 dans le Colorado : la vaine tentative d'un Américain, Martin Heemeyer, soudeur de profession, pour empêcher le rachat de terres où se trouvaient son atelier et sa maison par un grand groupe industriel désireux de relancer l'activité d'une usine en faillite.
Léviathan s'ouvre, à l'aube, sur des plans fixes d'un ciel gris et d'une mer déchaînée, dont les écumes blanches des vagues se fracassent sur les rochers. Sur la plage, le squelette d'un cétacé nous évoque une première métaphore du Léviathan. Cette ouverture, scandée par les accents répétitifs et tragiques de la musique de Philip Glass (extraits de son opéra Akhnaten)nous suggère d'emblée, à travers les liens noués entre le ciel, la mer et la terre, un univers de beauté et de désolation. Pour reprendre le titre de l'une des parties du livre de Hobbes, nous entrons dans « Le royaume des ténèbres ». Dans une petite ville située au nord de la Russie, au bord de la mer de Barentz, Kolia (Alekseï Serebryakov) tient un garage jouxtant une petite maison où il vit avec sa femme, Lilya (Elena Lyadova), et son fils, Roma, né d'un précédent mariage. Le maire de la ville, Vadim Cheveliat (Roman Madianov), a engagé contre lui une procédure d'expropriation pour intérêt public : la maison du garagiste doit être détruite et remplacée par un somptueux édifice municipal. Léviathan décrit la tentative désespérée de Kolia de résister à une procédure juridique, entachée de corruption, qui Iui ferait perdre sa maison et son métier.
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Écrit par
- Michel ESTÈVE : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma
Classification
Média