LÉVIATHAN, Thomas Hobbes Fiche de lecture
S'il fut publié en 1651 en anglais, le Léviathan ou La Matière, la forme et la puissance d'un État ecclésiastique et civilconnut une version latine donnée par Thomas Hobbes (1588-1679) lui-même en 1668. C'est à juste titre que l'on peut considérer cet ouvrage comme le texte fondateur de la philosophie politique moderne. L'auteur y compare son travail à la voie que Platon avait frayée avec la République. Écrit pendant une période de troubles tant en Angleterre qu'en France où il résida, le Léviathan, qui fait suite au traité Du citoyen (1642), veut dépasser l'époque où il a vu le jour (même s'il en porte la trace). Comme Descartes dont il est le contemporain, Hobbes formule une anthropologie fondée sur la philosophie telle que la science de Galilée oblige à en reposer les bases. Les temps ont changé : vu l'urgence du moment, il s'agit de repenser selon des principes rationnels le corps politique (l'État, la république) qui n'est pas sans faire penser au corps de l'homme – mû qu'il est, lui aussi, par un certain nombre de forces instables. Corps artificiel, mais nécessaire à la survie de tous.
La violence originaire
Tous les hommes connaissent les mêmes passions (désir, peur, crainte...) même si les objets qu'ils craignent ou convoitent sont différents. La première partie de l'ouvrage traitera donc « De l'homme ». D'emblée, Hobbes refuse la définition traditionnelle de l'homme comme animal politique doué de parole ou de raison. Il choisit de le caractériser par la passion et l'insatisfaction qui le poussent à toujours désirer plus, par crainte de perdre ce qu'il possède déjà. Précarité fondamentale, finitude essentielle caractérisent cette vision baroque de l'homme, qui se voit devenu le centre de forces elles-mêmes sans cesse confrontées à des forces adverses dans une guerre de tous contre tous. Dans cette perspective, le chapitre 4 traitant de la parole revêt une importance particulière. C'est par elle que l'homme s'arrache à la condition animale. C'est elle encore qui permet l'existence – fût-elle insatisfaisante et sans cesse remise en cause – d'un rapport à autrui. Le langage, ici, est avant tout défini par ses usages – formuler sa pensée, l'exprimer, instruire, agir sur autrui – et par ses abus – parler sans savoir ce que l'on dit « à cause de l'inconstance des mots », abuser des métaphores, se tromper sur ses propres volontés et nuire à autrui. Le bien-dire est la seule garantie dont nous disposions pour parvenir au vrai. « La vérité consiste en l'exacte mise en ordre des noms dans nos affirmations. » Il faut donc, selon Hobbes, procéder à la manière des géomètres et partir de définitions claires, afin de ne pas s'empêtrer dans la glue des mots vagues et des expressions insensées telles que les philosophes (avant tout les scolastiques) en ont abusé. Redonner un vrai sens aux mots de la tribu, tâche du souverain, revêt donc une portée éminemment politique : c'est éviter les fausses querelles qui conduisent aux guerres civiles, en créant les conditions de possibilité du lien social.
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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