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LI CHENG[LI TCH'ENG]ET FAN KUAN[FAN K'OUAN](Xe-XIe s.)

« Voyageurs dans les gorges d'un torrent »

Le prénom de Fan Kuan était Zhongzheng (Kuan « le Magnanime » n'est qu'un surnom) et son prénom de courtoisie, Zhongli. Né vers le milieu du xe siècle, il était encore en vie aux alentours de 1025. On ne sait presque rien de sa biographie : originaire du Shănxi, il n'exerça aucune charge officielle ; après une jeunesse vagabonde, il se retira dans le massif du mont Hua (on retrouve dans sa peinture la sévère grandeur des montagnes du Shănxi, et la silhouette typique de leurs falaises crêtées de forêts), s'adonnant à la méditation taoïste, au vin et à la contemplation de la nature.

Avec la grande peinture Voyageurs dans les gorges d'un torrent, Fan Kuan a laissé une des œuvres les plus sublimes de toute l'histoire de la peinture chinoise, et l'un des rares points de repère sûrs pour la connaissance critique du siècle d'or du paysage chinois ; historiquement, cette œuvre représente un jalon décisif, marquant le premier – et le plus complet – épanouissement du paysage envisagé tant comme expérience spirituelle que comme création plastique. Le paysage n'est pas seulement le lieu privilégié de la communion de l'homme avec le monde ; pour le peintre, il est acte de participation à la Création universelle. Ce n'est pas par une simple métaphore que les critiques classiques qualifient l'œuvre de Fan Kuan de « divine », ils veulent dire ainsi que l'artiste est parvenu à ce niveau suprême où la création picturale se développe selon les mêmes lois et est animée du même rythme et du même souffle que la Création universelle. Et cela rend compte de l'extraordinaire vérité naturelle de l'œuvre, fort différente d'un réalisme d'imitation : rochers, arbres, torrent, montagnes ne sont pas le simple reflet d'un paysage particulier, d'une réalité donnée, ils sont eux-mêmes réels, parallèles dans leur réalité microcosmique aux rochers, arbres, torrent, montagnes du macrocosme. Dans l'harmonie de cet univers monumental et impassible, l'homme intervient à peine : humble organe d'un grand Tout, il n'est pas écrasé par le monde, mais immergé en lui. Techniquement, toutes les ressources de l'encre (valeurs tonales) et du pinceau (graphisme) sont désormais mises magistralement à contribution. Tout en définissant ce qui restera la syntaxe fondamentale (dialectique de la montagne et de l'eau, du plein et du vide) et le vocabulaire de base (les « points » et les « rides ») du grand paysage chinois, Fan Kuan ne s'abandonne jamais à une recherche gratuite de formes : l'invention plastique est mise tout entière au service d'une vision spirituelle majestueuse et austère. Son œuvre qui a stimulé le développement du paysage chinois représente aussi la plus haute cime de cet art, et est restée à jamais inégalée.

— Pierre RYCKMANS

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

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Autres références

  • GUO XI [KOUO HI] (1020 env.-env. 1100)

    • Écrit par
    • 1 340 mots
    La dette de Guo Xi envers ses grands devanciers, Li Cheng et Fan Kuan (dont la majesté statique et l'objectivité impassible correspondent véritablement à un classicisme), est évidemment considérable. Si l'on en croit les sources littéraires, c'est l'influence de Li Cheng qui dut surtout primer (l'importance...