LI TANG (XIe-XIIe s.) ET MA YUAN (XIIe-XIIIe s.)
Étudiés isolément dans leurs manifestations les plus caractéristiques, le paysage des Song du Nord et celui des Song du Sud paraissent aux antipodes l'un de l'autre. Le premier est monumental, équilibré, impassible et classique, il cherche à créer un monde complet, saisi dans sa permanence et son universalité ; le représentant par excellence de cet idéal est Fan Kuan. Le second est plus sentimental et subjectif ; substituant la partie au tout, il suggère d'un pinceau elliptique et nerveux de façon tantôt élégiaque, tantôt dramatique, une réalité fragmentaire et momentanée ; sensible à l'impermanence des choses, il rompt délibérément le serein équilibre des forces naturelles au profit d'un contenu émotionnel plus intense ; cet art, que l'on peut qualifier de romantique, a trouvé son expression la plus accomplie dans l'œuvre de Ma Yuan et de Xia Gui. L'œuvre de Li Tang assure la liaison entre ces deux interprétations du paysage chinois.
Li Tang, un artiste de transition
Entre ces pôles opposés de la conception du paysage, il n'y a cependant pas eu rupture, mais au contraire évolution naturelle et continue. La cassure politique entre les Song du Nord et les Song du Sud fut sans incidence directe sur la peinture : après que Kaifeng fut tombée aux mains des Tartares, plusieurs des membres les plus doués de l'académie de Huizong – Li Tang, Li Di, Xiao Zhao, Su Hanchen – émigrèrent dans le Sud et, dans la nouvelle capitale de Hangzhou, vinrent former le noyau de l'académie réorganisée par Gaozong.
Entre tous ces artistes dont la carrière chevaucha deux âges, assurant ainsi la transition d'une époque à l'autre, Li Tang (actif à la fin du xie et durant le premier tiers du xiie siècle) présente une importance toute particulière : distingué d'abord par Huizong à Kaifeng, honoré dans sa vieillesse par Gaozong à Hangzhou, héritier des premiers grands paysagistes du Sud (Ma Yuan et Xia Gui), sa personne et son œuvre forment un pont au-dessus du fossé creusé par les événements historiques.
À l'intérieur de son œuvre même, une évolution est perceptible ; le Son du vent dans les pins d'une gorge montagneuse (collection de l'Ancien Palais, Taiwan), encore exécuté au nord à la veille de l'invasion tartare (la peinture est datée de 1124), reste fondamentalement fidèle à la monumentalité sombre de Fan Kuan : la composition statique est fermement axée sur l'écran massif de la montagne couronnée de ramures noires qui trône au centre. Toutefois la vision classique apparaît déjà sensiblement rétrécie : la peinture se fait maintenant suggestive moins d'un univers vaste, complexe et complet que d'un coin singulier de la nature où l'on est invité à pénétrer de façon plus immédiate ; le rapport traditionnel de proportions qui réglait l'avant-plan et l'arrière-plan est inversé, donnant plus d'ampleur au premier et une moindre envergure au second, créant ainsi une échelle moins colossale et amorçant la possibilité d'une saisie plus intimiste de la nature. Ces tendances nouvelles se voient plus explicitement affirmées dans les deux admirables paysages conservés au Koto-in de Kyōto ; ceux-ci pourraient bien avoir été exécutés après l'arrivée de Li Tang à Hangzhou, durant cette dernière partie de sa carrière qui ouvrit directement la voie au paysage des Song du Sud. Par le jeu du cadrage, le spectateur, au lieu de dominer un vaste panorama de montagnes comme le voulait la formule antérieure, est introduit de plain-pied dans une gorge étroite. La conception classique d'une composition organisée en fonction d'un axe central n'est pas oubliée ; toutefois, si l'action de cet axe continue à sous-tendre l'ensemble, lui conférant une stabilité que les maîtres du Sud abandonneront plus tard au profit d'une asymétrie dynamique, l'axe lui-même devient presque invisible, dissous dans l'évanescence d'un arrière fond[...]
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Écrit par
- Pierre RYCKMANS
:
reader , Department of Chinese, Australian National University
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Média