Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LI YU (1611-env. 1680)

On a voulu voir en cet esthète un esprit superficiel qui se serait abandonné au divertissement vénal. Ne nous y trompons pas : cet écrivain « maudit » est peut-être le plus original et le plus libre que la Chine ait produit. N'a-t-il pas fallu attendre 1970 et un érudit étranger pour que l'ensemble de son œuvre soit enfin réédité ? Ne s'obstine-t-on pas à lui refuser la paternité d'un roman prohibé qui porte pourtant bien la marque de sa griffe, le Rouputuan (La Chair comme tapis de prière) ? Esprit libre s'il en fut, Li est bien le fils de ce xviie siècle chinois qui met en question tant de valeurs traditionnelles, le survivant d'une crise que la conquête mandchoue résorbe dans une restauration confucéenne. La dynastie des Ming s'effondre au milieu de sa vie : il abandonne alors toute ambition mandarinale pour vivre de son pinceau, difficilement, car il entretient une troupe entière de chanteuses qui, auprès de mécènes épisodiques, joue ses pièces. On lui en reconnaît une dizaine d'authentiques, remarquables par le sens de la construction, l'invention et la vivacité du langage. La passion du théâtre lui a inspiré les réflexions les plus pénétrantes que la dramaturgie chinoise ait produites. Par la place secondaire qu'il accorde à la musique, il manifeste une indépendance d'esprit qui se mesure mieux par rapport à l'évolution de la tradition chinoise. D'ailleurs l'ouvrage, rédigé vers 1670, Xianqing ouji, contient bien d'autres essais, genre où Li Yu est digne des grands maîtres de la fin du xvie siècle et du début du xviie, dédaignés de la littérature officielle. Eberhard, en allemand, Lin Yutang, en anglais, ont fait connaître ses délicieuses réflexions sur le charme féminin. Les célèbres Enseignements du Jardin grand comme un grain de moutarde, traduits par Petrucci en 1918, ne sont pas de lui, mais viennent de son milieu aux goûts raffinés, puisque le Jardin était sa résidence de Nankin vers 1660. Li y tenait une librairie-édition.

Même en langue vulgaire, Li Yu ne se départ pas d'une prose simple et élégante dont le sel tient à une ironie quasi voltairienne. Son premier recueil de contes, Théâtre silencieux, sort à peine d'un oubli total dont on devine les motifs politiques : ne le qualifiait-il pas de « boisson fraîche dans une maison en flammes » ? L'épicurisme, le goût de l'évasion qu'on lui a reprochés sont une forme de refus. Ils expliquent l'ostracisme qui frappe ses œuvres, leur réputation et leur inaccessibilité. Même la plus célèbre, tant de fois traduite partiellement, le recueil de douze nouvelles intitulé Shi'er lou (Les Douze Pavillons), est pratiquement introuvable dans sa version intégrale.

— André LEVY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-VII, responsable de la section d'études chinoises à l'université de Bordeaux-III

Classification