LIANG KAI[LEANG K'AI]ET MUQI [MOU-K'I](XIIe-XIIIe s.)
Cohérence interne des deux manières de Liang Kai
Un exemplaire au moins de sa production académique en style linéaire minutieux a subsisté jusqu'à nos jours (Portrait de Tao Yuanming, collection de l'Ancien Palais, Taiwan). L'admirable Çakyamuni redescendant de la montagne (collection Shima Eiichi, Japon) est encore très marqué de cette rigoureuse discipline, à mi-chemin des fameuses improvisations où s'est déchaînée toute l'audace de son génie (Immortel ivre, collection de l'Ancien Palais, Taiwan ; Portrait de Li Bo, Commission pour la protection des biens culturels, Tōkyō ; Patriarche du Chan déchirant les sūtra, collection Mitsui Kōsui, Japon ; Huineng coupant du bois, Musée national, Tōkyō). Il ne faudrait toutefois pas vouloir arbitrairement opposer dans son œuvre une première période « académique » à une seconde période « monastique » : les deux styles sont moins contradictoires qu'il ne pourrait paraître à première vue ; en réalité, ils sont complémentaires. Dans la pratique picturale, les plus véhémentes explosions de l'« encre éclaboussée » ne sont rendues possibles que par la formation préalable ou l'exercice parallèle du graphisme linéaire, exactement comme en calligraphie la cursive la plus fougueuse repose d'abord sur la discipline des graphies antiques et régulières. C'est précisément parce que sa peinture est tout entière sous-tendue par cette ascèse que Liang Kai peut s'abandonner à l'ivresse, à la frénésie, à l'extase, sans risquer de tomber dans la gesticulation vaine qui afflige ses imitateurs japonais. Là réside le secret de cette densité intérieure dont se charge chaque goutte de son encre, de cette inéluctable nécessité qui règle l'économie et la séquence rythmique de chaque touche de son pinceau. Il faut remarquer d'autre part que sa seconde manière, elliptique et fantasque, se réclamait elle aussi d'une solide tradition : dès le xe siècle, Shi Ke avait déjà proposé le modèle d'une peinture de figures enlevée d'une griffe sauvage et marquée d'une malice narquoise. Cette tradition était cultivée dans l'académie même : le traitement des figures dans certaines peintures de Ma Yuan et surtout de Xia Gui en fait éloquemment foi.
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Écrit par
- Pierre RYCKMANS
:
reader , Department of Chinese, Australian National University
Classification
Autres références
-
CHINOISE CIVILISATION - Les arts
- Écrit par Corinne DEBAINE-FRANCFORT , Daisy LION-GOLDSCHMIDT , Michel NURIDSANY , Madeleine PAUL-DAVID , Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS , Pierre RYCKMANS et Alain THOTE
- 54 368 mots
- 37 médias
...développaient un style spontané et indépendant. Deux grands maîtres, à la fin des Song du Sud, ont exprimé les expériences spirituelles de cette secte : Liang Kai (1140-1210), qui parvint à un style abstrait et expressif, à un art de l'essentiel sans redites ni concessions ; Muqi (actif 1240-1270) dont...