LIANG KAI[LEANG K'AI]ET MUQI [MOU-K'I](XIIe-XIIIe s.)
Réaction de la critique lettrée
Une œuvre comme les Six Kakis conduit à une cime extrême de l'art chinois. Pour accéder au sommet, l'artiste s'est débarrassé de tout bagage superflu et réduit sa peinture à une brutale nudité. Pour les lettrés chinois – dont l'esthétique, quoi qu'on en pense, restait avant tout imprégnée de confucianisme –, le caractère radical et spectaculaire de semblables entreprises paraissait une offense au bon goût. Au vertige des altitudes l'honnête homme préfère la voie moyenne ; à l'engagement inconditionnel de tout l'être il préfère l'amène détachement des « jeux d'encre » qui se tiennent à égale distance et de l'ornement et de la crudité ; s'il prise la simplicité, le dépouillement et la naïveté, c'est seulement en tant que forme supérieure d'élégance, de jouissance et de culture. Plutôt qu'une extase intemporelle, il recherche le commerce érudit des Anciens. La condamnation de la peinture Chan fut donc pratiquement sans appel ; un critique du début du xive siècle écrivait à propos de Muqi : « Sa peinture fruste et détestable est dépourvue de la méthode antique et ne saurait satisfaire les goûts distingués. » Les âges ultérieurs ne se donneront même plus la peine de mentionner son nom. Ainsi, paradoxalement, cette école en qui l'on peut voir une des plus hautes expressions de la peinture chinoise resta un phénomène tout à fait marginal et ne trouva guère d'échos que chez quelques individualistes, tels Xu Wei au xvie siècle, Zhu Da et Daoji au xviie siècle, et indirectement dans une certaine mesure Qi Baishi au xxe siècle. Très tôt, par contre, le Japon lui voua un culte fervent : la totalité des œuvres de Muqi et la presque totalité des œuvres de Liang Kai sont conservées dans ce pays ; mais l'enthousiasme des peintres japonais pour les œuvres chinoises du Chan ne se traduisit malheureusement qu'en pastiches assez creux.
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Écrit par
- Pierre RYCKMANS
:
reader , Department of Chinese, Australian National University
Classification
Autres références
-
CHINOISE CIVILISATION - Les arts
- Écrit par Corinne DEBAINE-FRANCFORT , Daisy LION-GOLDSCHMIDT , Michel NURIDSANY , Madeleine PAUL-DAVID , Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS , Pierre RYCKMANS et Alain THOTE
- 54 368 mots
- 37 médias
...développaient un style spontané et indépendant. Deux grands maîtres, à la fin des Song du Sud, ont exprimé les expériences spirituelles de cette secte : Liang Kai (1140-1210), qui parvint à un style abstrait et expressif, à un art de l'essentiel sans redites ni concessions ; Muqi (actif 1240-1270) dont...