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LIBERTÉ ASYMPTOTIQUE, physique

Deux articles publiés dans le numéro du 25 juin 1973 des Physical ReviewLetters (organe de la Société américaine de physique), écrits par deux brillants étudiants américains, H. David Politzer (né en 1949) et Franck Wilczek (né en 1951), et le directeur de thèse du second, David Gross (né en 1941), démontrent une étonnante propriété d’une classe de théories, propriété qui sera plus tard appelée « liberté asymptotique » et qui s’avérera décisive pour la compréhension des interactions nucléaires fortes.

Les physiciens des particules s’interrogeaient depuis quelques années sur l’interprétation de résultats surprenants obtenus au nouvel accélérateur linéaire à électrons de Stanford (Californie) : la probabilité qu’un électron soit fortement dévié lors de sa collision avec un proton était égale à la somme des probabilités de réaction sur quelques « partons », des objets quasi ponctuels présents à l’intérieur du proton, probabilités calculées en supposant que ces objets étaient insensibles à l’interaction nucléaire forte. Par ailleurs, des physiciens mathématiciens avaient proposé d’élargir les théories construites sur le modèle de l’électrodynamique quantique à une classe – les « théories de jauge non abéliennes » – apte à décrire des interactions plus complexes, par exemple les interactions nucléaires, faibles ou fortes, qui défiaient l’imagination des théoriciens depuis des décennies.

Les deux articles interrogeaient donc particulièrement le comportement à courte distance de ces théories, et en particulier le phénomène appelé écrantage, commun à toute description quantique : lorsqu’on mesure une charge électrique par exemple, il faut tenir compte de la capacité d’apparition éphémère de paires électron-positron dans le vide entourant cette charge, ce qui conduit à un phénomène d’atténuation effective des charges. Plus les charges sont éloignées, plus cet écrantage est efficace et on est donc conduit à définir une charge électrique effective qui décroît à grande distance. En menant à bien le calcul difficile de cet effet dans les nouvelles théories, Politzer, Wilczek et Gross démontrèrent que l’effet était souvent inversé : la charge effective s’atténue à courte distance si bien que des théories décrivant des interactions fortes à longue distance n’empêchent pas leurs champs élémentaires d’apparaître comme quasi libres à courte distance.

Si l’article de Politzer (« Reliable perturbative results for strong interactions? ») ne s’intéressait pas particulièrement à l’approche de la chromodynamique quantique, celui de Gross et Wilczek (« Ultraviolet behavior of non-abelian gauge theories ») soulignait que le résultat obtenu s’applique particulièrement bien à cette nouvelle théorie des interactions nucléaires fortes dont les champs fondamentaux – quarks et gluons – sont les constituants élémentaires de la matière. Les auteurs notaient qu’il expliquait le résultat expérimental observé à Stanford : les partons observés sont les « quarks » dont la charge dite « de couleur » décroît à courte distance, à cause de leurs interactions entre les gluons ainsi que du fait des interactions entre les gluons porteurs eux aussi d’une charge de couleur.

La décroissance de la charge effective sera ensuite expérimentalement testée par de nombreuses mesures et la chromodynamique quantique acquerra le statut de théorie privilégiée des interactions nucléaires fortes. Politzer, Wilczek et Gross reçurent le prix Nobel de physique en 2004 pour ce résultat.

— Bernard PIRE

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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