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LIBERTÉ D'EXPRESSION

Application des restrictions à la liberté d’expression

L’organe chargé d’appliquer les restrictions de la liberté d’expression à des propos concrets peut se voir confronté à deux types de questions. Il lui faut d’abord interpréter les propos poursuivis afin d’établir leur signification. Cet examen est suffisant pour appliquer une restriction substantielle, mais il est également nécessaire à l’égard des restrictions conséquentielles, pour lesquelles il faut ensuite apprécier si le message exprimé est susceptible de produire certains effets.

Interprétation de l’expression litigieuse

L’application des limites de la liberté d’expression ne dépend pas de ce que le locuteur prétend avoir voulu dire. Il ne s’agit pas non plus pour le juge d’identifier la manière dont un récepteur concret a compris l’expression, d’autant plus si elle a fait l’objet d’une vaste diffusion. Le juge procède plutôt à une appréciation des propos. Il lui faut établir comment les propos étaient raisonnablement susceptibles d’être compris.

À cet effet, il tient compte de multiples éléments, à commencer bien sûr par le texte, la lettre de l’énoncé poursuivi. Cet élément indispensable n’est cependant pas suffisant : une même affirmation peut, selon les contextes, communiquer ou non un message illégal. Il suffit de penser à la différence entre une insulte raciste proférée contre un individu et la citation de ces mêmes propos pour les dénoncer. Le « péritexte », c’est-à-dire les énoncés qui entourent les propos litigieux, est extrêmement important. Le support de publication joue également un rôle : une expression sera, par exemple, interprétée différemment selon qu’elle apparaît dans un journal « sérieux » ou dans une publication satirique. La personnalité du locuteur est également pertinente : une blague littéralement raciste, par exemple, ne sera pas perçue de la même manière selon qu’elle est prononcée par un individu connu pour ses engagements antiracistes ou par une personne condamnée à de multiples reprises pour provocation à la haine.

Cette opération d’interprétation joue un rôle essentiel dans le droit de la liberté d’expression. Elle demeure sensible à tous les éléments du contexte, et il faut se garder de la présenter de manière simpliste. Ni l’humour, ni l’art, ni la littérature ne constituent des catégories immunes aux restrictions de la liberté d’expression. Simplement, le juge doit tenir compte du statut de l’expression. Ainsi, des propos racistes tenus par un personnage de fiction ne sauraient être systématiquement attribués à l’auteur, mais il n’est pas exclu qu’une œuvre littéraire communique un tel message (Arzoumanov, 2022). La vigilance des juges est grandement sollicitée, car les restrictions de la liberté d’expression donnent toujours lieu à des tentatives de contournement plus ou moins habiles, qu’il s’agisse de messages codés, d’invocations de l’excuse humoristique ou artistique, ou encore du recours à des termes ou des gestes ambigus.

Appréciation de la conséquence d’un propos

Lorsque la restriction à la liberté d’expression est conséquentielle, l’interprétation des propos permet d’apprécier ensuite leurs conséquences. À l’égard des restrictions conséquentielles indirectes, et en particulier de la provocation à des actes illégaux ou violents, une importante différence existe entre les États-Unis et l’Europe. Aux États-Unis, les tribunaux doivent s’assurer concrètement que l’expression poursuivie fait naître le danger manifeste et imminent que soit commis un acte illégal (clear and present danger). Telle est la solution retenue par la Cour suprême depuis l’arrêt Brandenburg v. Ohio en 1969 (395 U.S. 444). Il en va différemment en Europe, où le danger est apprécié de manière abstraite : il suffit que le propos paraisse susceptible de provoquer[...]

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Médias

Descente dans les ateliers de la liberté de la presse (1833) - crédits : Library of Congress, Washington, DC (French Political Cartoon Collection)

Descente dans les ateliers de la liberté de la presse (1833)

Manifestation anti-mégabassine, Deux-Sèvres - crédits : Joanie Lemercier

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