LIBERTÉ DE CONSCIENCE
Une liberté essentiellement moderne
Si l'on pose que la liberté de conscience, telle qu'elle a été jugée au cours de l'histoire, est en fait la liberté de religion, on admet généralement qu'elle n'a pris cette valeur éminemment positive qu'à partir de l'époque moderne. Sous l'Antiquité, la liberté de religion n'a jamais été considérée comme un droit. La religion qui se confondait avec l'État s'imposait à tous les citoyens quelles que soient leurs convictions profondes. À part le court moment où plusieurs convictions religieuses étaient tolérées dans l'Empire romain, dès que le christianisme est devenu la religion de l'État sous Théodose Ier (346-395), la liberté de religion a été vivement combattue à la fois par les empereurs et par l'Église elle-même. On en trouve les traces dans les écrits polémiques des Pères de l'Église, en particulier ceux d'Augustin (354-430), l'évêque d'Hippone, et dans les décisions des premiers conciles. Toutes les propositions doctrinales ou ecclésiales hétérodoxes se sont vues accusées d'hérésie, qualifiées de schismatiques et ont été frappées d'anathème. Au Moyen Âge, en dépit d'une activité intellectuelle, artistique et religieuse intense et multiforme, la promotion de l'unité de la foi a contré toute revendication de liberté en cette matière. Magistralement épaulée par les écrits de Thomas d'Aquin (1225-1274), la législation ecclésiastique et civile n'a cessé de se préciser et de se durcir envers les dissidents. Une institution spéciale, l'Inquisition, a notamment été créée en 1231 par le pape Grégoire IX dans le but de préserver par des moyens coercitifs le contenu de la « vraie foi ». Car il s'agit bien du problème de la Vérité du message divin proposé par l'Église, et c'est le salut de ses fidèles qui est en jeu. Pour les théologiens catholiques, et ce jusqu'au décret sur la liberté religieuse pris par le deuxième concile du Vatican en 1965, l'absolue indépendance de la conscience est chose à la fois absurde et impossible pour un être créé et racheté par Dieu. L'Église catholique s'est aussi longtemps présentée comme le garant absolu de l'authenticité de la foi et le moyen de passage obligé pour l'adhésion des fidèles à la Vérité révélée. Si elle n'a jamais considéré comme licite de forcer quelqu'un à croire (qu'il soit païen ou infidèle), elle a toujours affirmé qu'une personne ayant reçu le baptême catholique ne peut s'autoriser en aucune façon, au risque d'être damnée et de compromettre le salut de ses proches, à le discuter, le contester, ou même le réfuter en sa conscience.
C'est la définition (pourtant encore restrictive) du libre examen par Martin Luther et le succès des différentes Réformes au xvie siècle qui ont permis un changement progressif d'interprétation dans ce domaine. Et ce sont les philosophies libérales puis des Lumières des xviie et xviiie siècles qui ont préparé la promotion de la liberté de conscience telle qu'elle est entendue actuellement dans nos sociétés démocratiques et pluralistes. Abandonnant le seul terrain religieux, la liberté de conscience s'est sécularisée à partir du xixe siècle. C'est ainsi que l'on peut actuellement parler du combat pour la liberté de conscience comme de celui mené par les mentalités modernes pour exiger de la part de toutes les institutions (religieuses, politiques ou sociales) que la conscience individuelle de chaque être humain soit reconnue dans son intégrité et son individualité. Cette reconnaissance et ce respect mutuel concédés sont considérés comme indispensables à l'homme afin qu'il puisse adhérer librement aux convictions religieuses, politiques ou morales dont il a besoin pour[...]
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Écrit par
- Valentine ZUBER : maître de conférences à l'École pratique des hautes études (Sorbonne)
Classification
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