LIBERTÉ DE MANIFESTATION
Encadrement des forces de l’ordre
De manière un peu caricaturale, on peut considérer qu’il existe en France deux conceptions de la police des manifestations, chacune d’entre elles pouvant être rattachée à deux préfets de police de Paris : Maurice Papon (en poste de 1958 à 1967) et Maurice Grimaud (de 1967 à 1971). La « doctrine Papon » ne recule pas devant la violence, et a atteint son paroxysme dans le massacre de manifestants algériens à Paris, le 17 octobre 1961, tandis que la « doctrine Grimaud », forgée pendant les événements de mai 1968, veut l’éviter prioritairement : « Frapper un manifestant tombé à terre, écrit Maurice Grimaud aux policiers, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. » Les virulentes manifestations des années 2018-2023 – manifestations des gilets jaunes, puis d’opposition à la réforme des retraites du gouvernement d’Élisabeth Borne – ont donné lieu à une répression violente qui se rapproche davantage de la première conception que de la seconde. Une « brutalisation » de la police des manifestations s’observe en effet à partir de la fin des années 2010 (Malverti et Beaufils, 2021).
Si les policiers ont, bien entendu, le droit et le devoir de protéger leur intégrité physique et celle d’autrui, des violences policières injustifiées enfreignent régulièrement l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit les actes de torture et les traitements inhumains ou dégradants (voir, par exemple, Cour européenne des droits de l’homme, İzci c. Turquie, 23 juillet 2013, violences disproportionnées et gaz lacrymogènes contre des manifestantes réfugiées dans un magasin à Istanbul ; Shmorgunov c. Ukraine, 21 janvier 2021, violences non nécessaires contre les manifestants de la place Maïdan à Kiev en 2013-2014).
Le maintien de l’ordre peut donner lieu à d’autres excès. En France, le Conseil d’État a ainsi précisé, le 10 juin 2021 (décision no 444849), que la technique de la nasse (kettling), qui consiste à encercler des manifestants pour les priver de mouvements, ne peut être utilisée que si elle s’avère nécessaire (voir dans le même sens Cour européenne des droits de l’homme, Austin v. Royaume-Uni, 15 mars 2012). En revanche, ce même Conseil d’État a toujours rejeté les requêtes contre l’utilisation de certaines armes dites non létales, tel le lanceur de balle de défense (LBD), qui sont néanmoins susceptibles de provoquer de lourdes blessures chez les manifestants.
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Écrit par
- Thomas HOCHMANN : professeur de droit public, université Paris Nanterre
Classification
Média