LIBERTÉ (notions de base)
« Je dois » : un postulat fondateur
Cependant, aussi extravagante qu’elle paraisse sur un plan métaphysique, l’hypothèse du libre arbitre peut-elle être aisément éliminée ? On doit à Kant, au xviiie siècle, d’avoir enrichi en la rendant plus subtile l’idée de libre arbitre.
C’est en partant à la recherche des fondements de la morale qu’Emmanuel Kant (1724-1804) va revisiter la thèse cartésienne. Sa réflexion prend appui sur un fait universel : le fait que l’homme est un animal qui dit « je dois ». Où que ce soit sur la planète, à quelque époque qu’on se situe, on découvre chez tous nos semblables la même certitude (qui est seulement un fait, et nullement la preuve de quoi que ce soit) : la certitude que nous « devons » agir suivant une règle que nous nous imposons à nous-mêmes, mais à laquelle il nous est toujours possible de désobéir. Et cette liberté que je m’accorde, je l’accorde spontanément à tous mes semblables. Si ce n’était le cas, comment comprendre que l’on puisse en vouloir à un humain qui nous cause du tort, qu’on le considère comme coupable de ce qu’il a fait, alors qu’il ne nous viendrait pas à l’esprit de considérer comme « coupable » la pomme de pin qui se détache de la branche pour venir heurter notre crâne ? Je me sens libre de mes actes, je te considère comme doté du même libre arbitre que le mien, et la société nous accorde cette même liberté, sur laquelle est fondée en particulier l’institution de la justice. Sur ce postulat de la liberté repose l’ensemble des punitions dont aucune société n’a jamais pu faire l’économie.
Tous les hommes se conduisent avec, présente à l’esprit, l’idée qu’ils sont bien à l’origine de leurs actes, qu’ils ne sont ni des animaux ni des machines, mais des êtres pensants que seule une décision intérieure fait agir. Quand mes yeux lisent « 50 » sur un panneau de limitation de vitesse, mon véhicule ne ralentit pas automatiquement ; il ne ralentit que lorsque je lève le pied de l’accélérateur, choisissant d’obéir à un commandement qu’il m’est parfaitement possible de transgresser. Ce qui arrive régulièrement à chacun d’entre nous, la désobéissance à la loi étant politiquement regrettable, mais philosophiquement heureuse, car indice très fort de notre liberté.
La liberté demeure pour Kant un « postulat », une certitude universelle dépourvue de preuve, et qui ne pourra jamais faire l’objet d’une démonstration scientifique. Mais seule cette croyance en un libre arbitre qui nous rend responsables de nos actes donne à l’homme une dignité qui le distingue des objets.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
Classification