LIBERTÉ (notions de base)
Liberté et libération
Revenons à Descartes qui, en séparant dans l’être humain l’intelligence (nommée par lui « entendement ») et la volonté, nous propose une conception radicale de la liberté, que ne pourra accepter un penseur aussi rationaliste que Spinoza (1632-1677). Que peut être en effet la liberté d’un ignorant ? Tout en admirant Descartes, Spinoza va pourtant refuser catégoriquement les divisions cartésiennes, aussi bien la séparation entre la matière et la pensée que la séparation entre la volonté et l’intelligence. Il choisit d’ancrer notre liberté dans le réservoir de nos connaissances.
Parce qu’il n’existe qu’une unique réalité, les représentations erronées (non conformes au réel) de notre esprit vont de pair avec un rapport maladif (« pathologique ») de notre corps avec son environnement. On ne peut pas être heureux avec des représentations inadéquates, c’est une impossibilité radicale. Rendre nos pensées plus adéquates à la réalité, c’est en même temps mettre notre corps en harmonie avec la Nature. Il y a là un caractère prodigieusement libérateur de la doctrine spinoziste. Alors que constater mon ignorance peut engendrer une démarche positive visant à la combler, l’hypothèse d’une liberté absolue rend insupportables les mauvais choix dont je porte l’entière responsabilité.
Comprendre Dieu, comprendre la Nature, c’est se comprendre soi-même (je suis un « mode », c’est-à-dire une parcelle de la Substance divine). Spinoza et les physiciens quantiques contemporains partagent en ce sens une approche globale des phénomènes. On qualifie aujourd’hui cette approche d’« holistique » (du grec holos, « totalité »), parce qu’elle a l’ambition de ne jamais perdre de vue l’ensemble dont la réalité observée n’est qu’une infime partie, s’opposant ainsi à l’ancienne méthode – l’approche analytique – qui découpait le réel en parties. Ainsi l’homme doit-il éviter par-dessus tout de « se prendre pour un empire dans un empire » (Spinoza,Éthique, 1677).
La chaîne causale qui se déploie dans mon corps se déploie parallèlement dans mon esprit, et réciproquement. Il ne peut y avoir d’action véritable du corps sur l’âme ou de l’âme sur le corps. Nous obéissons si fortement à des schémas dualistes que nous avons beaucoup de mal à nous représenter cela.
Cependant, nous pouvons, à notre échelle et avec humilité, utiliser notre intelligence – parcelle et produit de l’intelligence divine – et la puissance de notre cerveau, c’est-à-dire de notre corps – parcelle de la Nature – pour nous situer dans l’infinité qui nous entoure et comprendre les mécanismes qui agissent sur nous.
Connaître, c’est donc se libérer, se défaire progressivement des illusions, des erreurs d’appréciation, des conditionnements qui entravent notre accession au bonheur. Connaître Dieu, connaître la Nature, c’est d’abord détruire les unes après les autres les illusions que les religions – monothéistes en particulier – ont projetées sur le divin : c’est à une véritable déconstruction de la théologie que se livre Spinoza.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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