LIBERTÉ, sociologie
De prime abord, la question de la liberté semble relever de la philosophiemorale et politique, voire de la métaphysique, plutôt que des sciences sociales. La tradition sociologique, parce qu’elle a rompu avec la philosophie pour se rapprocher des sciences expérimentales, ne prétend d’ailleurs pas élucider la vieille querelle autour de ce thème – y a-t-il ou non une volonté libre ? : celle-ci ne serait pas de son ressort, car une telle liberté, n’étant pas une question de fait, ne se prouve pas. À la limite, le problème de la domination et du pouvoir aurait beaucoup plus à voir avec la sociologie que celui de la liberté.
Il n’en reste pas moins que la question de la liberté hante les grandes controverses épistémologiques en sciences sociales. Existe-t-il un traitement sociologique de la liberté ? Sans doute, si on écarte d’emblée la définition de la liberté comme libre arbitre héritée de Descartes : la capacité souveraine du sujet, éprouvée de l’intérieur, à se déterminer lui-même indépendamment de toute contrainte. En revanche, les sciences sociales ont questionné l’existence d’une marge de manœuvre des individus au sein de la société, un espace dans lequel ceux-ci ne sont pas contraints par la collectivité et peuvent espérer concrétiser leurs aspirations personnelles ; autrement dit, une certaine liberté négativepourrait s’observer (le fait de ne pas être empêché par des interférences extérieures). Dès lors, la question renvoie à un débat plus général, opposant structuralisme et interactionnisme, holisme et individualisme, déterminisme et liberté – selon la place qu’on accorde aux poids respectifs de la contrainte collective et de la capacité d’action des individus. Les individus sont-ils d’abord les effets des déterminations sociales ou sont-ils les agents réfléchis de leurs propres actions ? La sociologie a autant balancé entre ces deux pôles que tenté de surmonter leur opposition.
Une liberté sous contrôle
L’ individualisme méthodologique adopte clairement une position antidéterministe, en affirmant que la société n’est pas une substance qui existe indépendamment des individus la composant. Elle est le produit contingent des libertés humaines en interdépendance. Cependant, si les hommes font la société, ils ne savent pas toujours quelle société ils font, car une multitude d’actions intentionnelles produisent des effets non intentionnels, voire pervers, qui les débordent, leur échappent et parfois contrarient leurs aspirations (un embouteillage au départ des vacances, une dévalorisation des diplômes avec la démocratisation scolaire…). Il y a donc dans les relations sociales quelque chose en plus (les « effets émergents ») qu’on ne peut pas déduire des actions individuelles prises isolément, et qui exerce une indiscutable emprise sur des dernières. D’un point de vue nominaliste et individualiste, il est donc parfaitement pertinent de souligner le poids des structures sociales. Cependant, explique Raymond Boudon dans Effets pervers et ordre social, ce ne sont jamais les structures qui agissent, c’est toujours l’individu. Les premières ne font qu’encadrer son action, la délimitent, en rendent possibles certaines et improbables d’autres. L’action, elle, reste toujours tendue par l’intention et les représentations des individus, et la structure sociale n’est contraignante que pour autant qu’elle s’y rapporte. En ce sens, le social ne peut être tenu non pour la cause directe des comportements individuels, mais seulement pour leur condition de possibilité. La liberté est donc le fait premier ; elle s’exerce cependant sous contrainte et ne signifie pas agir à sa fantaisie.
Ainsi, même l’homoœconomicus rationnel et calculateur n’est pas entièrement délivré des contraintes collectives. En principe, comme l’analyse Mancur Olson dans La Logique de l’action collective[...]
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Écrit par
- Arnault SKORNICKI : maître de conférences en science politique, université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
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