LIBERTÉS PUBLIQUES
L'État est-il fait pour l'individu ou l'individu pour l'État ? À sa libération de tout déterminisme surnaturel, l'homme a voulu ajouter l'affirmation de son autonomie par rapport à l'autorité terrestre. Les libertés publiques sont ainsi considérées comme des droits naturels, indépendants de la volonté du pouvoir, qui ne pourrait ni les supprimer ni même les réduire. Thomas d'Aquin a donné à cette idée d'une législation supérieure au droit positif une force accrue, en la mettant en accord avec le dogme chrétien ; Descartes, enseignant que le monde était entièrement intelligible, a montré qu'il était possible de connaître toutes les lois de l'Univers, y compris ces lois naturelles que l'autorité humaine était tenue de respecter.
Toutefois, l'affirmation d'un droit théorique et imaginaire, même sous la forme solennelle d'une déclaration des droits, n'offre aucune garantie réelle, et une véritable liberté semble impossible sans légalité ; selon le mot d'Alain, si l'ordre ne vaut rien sans liberté, « la liberté ne va pas sans ordre ». C'est pourquoi les libertés publiques ne sont pas de simples règles religieuses ou morales, mais des règles juridiques ; elles n'existent que consacrées par la loi. Ce sont des droits reconnus aux particuliers et qui leur permettent de jouir d'un certain domaine d'autonomie.
N'existant qu'en droit positif, parce qu'elles ont été reconnues et aménagées par le pouvoir, les libertés publiques varient naturellement dans le temps et dans l'espace. Lorsque triomphe l'État libéral, elles ont un contenu purement politique et présupposent l'abstention de l'autorité. Mais, dès lors que commence le combat qui verra s'affronter, des décennies durant, deux conceptions de la démocratie, on ne se satisfera plus de la proclamation solennelle de libertés abstraites ; on exigera des libertés concrètes.
Les libertés publiques et la démocratie
Les libertés publiques se présentent historiquement comme une arme forgée contre l'absolutisme, ce qui conduit logiquement les totalitarismes modernes à les rejeter. En présentant en 1925 son « évangile pour l'Europe du xxe siècle », Mussolini s'attaque à elles parce qu'elles nient l'État dans l'intérêt de l'individu ; comme celui-ci doit fatalement être écrasé, le Duce préfère que ce soit par l'État et dans l'intérêt de la collectivité, plutôt que par des puissances économiques occultes. De la même manière, le national-socialisme substitue à l'idée de droit public subjectif celle d'une situation juridique dont l'individu bénéficierait non comme homme mais comme membre de la communauté : les pouvoirs reconnus aux citoyens le sont dans l'intérêt de cette communauté, car ils n'existent que par elle. Au lieu d'accorder à l'individu des libertés en vue de la satisfaction d'intérêts personnels considérés comme supérieurs aux intérêts généraux, on proclame que l'homme ne peut avoir de droits contre la communauté. L'Espagne franquiste tenait l'octroi de toutes les libertés possibles pour un des maux de la civilisation moderne. L'article 33 de la charte des Espagnols proclamait que l'exercice des droits qu'elle reconnaissait « ne pourra porter atteinte à l'unité spirituelle, nationale et sociale de l'Espagne ». Il n'y avait de ce fait ni liberté d'association (sur le plan politique comme sur le plan syndical) ni liberté de la presse ; la loi constitutive de l'Université, de 1943, imposait à celle-ci d'ajuster ses enseignements au programme du Mouvement. Et si personne ne devait être inquiété pour ses croyances religieuses, on n'autorisait pas « d'autres cérémonies ni d'autres manifestations[...]
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Écrit par
- Georges LESCUYER : agrégé des facultés de droit, doyen et recteur honoraire, conseiller-maî- tre à la Cour des comptes.
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