LIBERTÉS PUBLIQUES
La crise des libertés publiques
Parce que la liberté véritable ne saurait résider dans une indépendance chimérique à l'égard des lois de la nature et de la société ; parce qu'elle serait, au contraire, inséparable de la connaissance de ces lois et de leur utilisation méthodique, le marxisme entendra apporter à la vision libérale une contestation qu'il veut fondamentale. Seule la disparition des modes de production fondés sur l'exploitation de l'homme par l'homme suscitera un individu entièrement libre, c'est-à-dire ignorant toute aliénation. Alors seulement commencera la liberté vraie, qui ne peut se concevoir qu'au stade supérieur de la société communiste, après le dépérissement de l'État, quand cessera le « travail imposé par le besoin et la nécessité extérieure ». Cette conception marxiste s'est développée dans deux directions : la critique de la liberté abstraite d'abord, l'affirmation de la liberté concrète ensuite.
La critique de la liberté abstraite
La prétendue liberté individualiste est fausse et repose sur un postulat erroné : on a voulu faire croire à l'homme qu'il n'était libre que dans la mesure où il se mettait hors de la société, alors que « ce n'est que dans la communauté que la liberté de l'homme devient possible ».
Cette illusion est née de l'ignorance dans laquelle l'individu se trouve de ses propres conditions historiques ; elle a été entretenue par une analyse métaphysique séparant les éléments de la réalité humaine, l'homme n'étant pas situé dans son contexte social. On a présenté comme absolue une liberté qui n'est que relative et historique : n'a-t-elle pas servi à la bourgeoisie dans sa lutte contre la féodalité, pour établir un nouveau pouvoir qu'il était impossible de construire ouvertement sur l'argent ?
La révolution bourgeoise constitue certes un progrès, mais elle ne peut aboutir qu'à une liberté tronquée, car l'État qu'elle installe n'est qu'une « assurance mutuelle de la classe bourgeoise contre ses membres isolés et contre la classe exploitée » (Marx) ; c'est une machine d'oppression d'une classe par une autre, le moyen par lequel la classe dominante essaie de se maintenir dans sa position privilégiée en luttant contre la majorité ; cet État n'est pas une communauté. La démocratie bourgeoise, étroite et fausse, est un paradis pour les riches mais n'est qu'un piège pour les pauvres et les exploités. Jouet des propagandes et des idéologies, l'individu croit être libre alors qu'il est soumis à une oppression économique qui le rend incapable de se faire lui-même une opinion. Il n'y a de liberté véritable que pour les membres de la bourgeoisie et les déclarations des droits ne sont qu'une façade dissimulant la réalité de l' aliénation politique.
Il ne faut pas poser le problème de la liberté, mais rechercher les moyens indispensables pour que l'homme soit libre. Pour obtenir la vraie liberté, il faut se défaire de la fiction d'une liberté abstraite.
Les excès de la liberté concrète
Dans sa lutte contre la féodalité, la bourgeoisie a proclamé certaines libertés concrètes ; mais une fois son pouvoir établi, elle a refusé de leur accorder une quelconque valeur, comprenant que toutes ces armes qu'elle avait forgées se retournaient contre elle, que « tous les dieux qu'elle avait créés l'abandonnaient ». Le communisme entend les reprendre à son compte ; mais il ne s'agit plus d'un mythe : ce sont des libertés réelles. Considérant comme sans valeur un droit purement juridique que les titulaires n'ont pas les moyens de réaliser, les régimes politiques qui se réclameront du marxisme accompagneront l'affirmation de chaque liberté de la mise[...]
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Écrit par
- Georges LESCUYER : agrégé des facultés de droit, doyen et recteur honoraire, conseiller-maî- tre à la Cour des comptes.
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