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LIBERTINAGE

Le libertinage érudit

René Pintard a proposé de nommer « libertinage érudit » le mouvement de pensée et la sociabilité intellectuelle qui s'émancipent des dogmes. Ce libertinage se nourrit d'une immense culture grecque et latine. Il s'intéresse à l'atomisme de l'Antiquité (Démocrite, Épicure, Lucrèce), à son scepticisme et à son pyrrhonisme (Sextus Empiricus), aux hypothèses panthéistes de l'École de Padoue (Pietro Pomponazzi, Cesare Cremonini), à la récente critique de la religion comme invention politique (Vanini, Machiavel). Il s'aventure sur des pistes diverses, voire contradictoires, en insistant sur la relativité des savoirs humains, sur la toute-puissance du politique, sur la religion naturelle ou sur l'infinie fécondité de la nature. Le relativisme était déjà la leçon de Montaigne qui conclut à la nécessaire indulgence. Son ami Pierre Charron (1541-1603) en reprend la démarche dans La Sagesse (1601). Montrant la place de la superstition et l'influence du milieu dans les croyances de tous les hommes, il condamne donc toute forme d'intolérance et de fanatisme. La Mothe Le Vayer (1588-1672) a été précepteur du duc d'Anjou et a composé des Dialogues faits à l'imitation des anciens (1630-1631), parmi lesquels un important « Dialogue sur le sujet de la divinité ». La forme de l'entretien permet de présenter des opinions peu orthodoxes sans les reprendre à son compte et, plus généralement, de privilégier la recherche par rapport à l'affirmation dogmatique. Si les pyrrhoniens et les sceptiques de l'Antiquité se défiaient de la raison jusqu'à nier toute possibilité de vérité humaine, le scepticisme de La Mothe Le Vayer est essentiellement critique : à la prétention du christianisme à être la seule vraie religion, il oppose les rites et dogmes de tous les peuples, dans un foisonnement d'énumérations et de contradictions. L'idée de Dieu elle-même n'est sans doute pas inhérente à la nature humaine, et l'argument du consentement universel est ruiné. La Mothe Le Vayer ne conclut nullement à la suppression des religions, car elles sont utiles et même indispensables au peuple, mais à la nécessité de l'esprit critique.

Cet esprit critique conduit à mettre en doute les accusations et les jugements populaires. Dans l'Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie (1625), Gabriel Naudé, médecin du roi et futur bibliothécaire de Mazarin, oppose les crédules, soumis aux préjugés, et les esprits forts, les « déniaisés », qui se mettent au-dessus des apparences et pour lesquels la raison devient juge de phénomènes qui relevaient autrefois de la foi. Héritier de Vanini et de Machiavel, Naudé voit dans le développement des religions l'entreprise de politiques pour conduire l'opinion publique. Les Considérations politiques sur les coups d'État (1639) affranchissent les princes et les puissants des interdits moraux ; seule la raison d'État doit compter pour eux. Ainsi, l'analyse objective du fonctionnement du pouvoir conduit les libertins à la soumission au pouvoir en place. Un manuscrit clandestin circulera au xviiie siècle, Traité des trois imposteurs, attribué à l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen, mais dû à Vanini ou à quelque libertin de la fin du xviie siècle : il présente Moïse, Jésus-Christ et Mahomet, les fondateurs des trois monothéismes, comme d'habiles imposteurs.

Pierre Gassendi se libère des principes de la tradition philosophique pour relire Épicure, et en réapprécier la physique et la morale. Composée en latin et lourdement érudite, son œuvre ne se diffuse que dans un cercle étroit. Mais elle est caractéristique d'un refus des dogmes, d'une volonté de chercher hors des sentiers battus qui se manifestent dans les œuvres, beaucoup[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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