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LIBERTINS

Les libertins du XVIIIe siècle

Une nouvelle typologie du libertinage

Dans le langage courant du xviiie siècle, le mot de libertinage renvoie à des sens aussi divers que partie de plaisir, plaisir, sensualité, principes de dévergondage et de dissipation, liberté de ton et de parole, etc. Le libertin est l'homme à bonnes fortunes, du coquin au débauché, du polisson au licencieux. C'est Crébillon fils (1707-1777) qui, le premier, a proposé une définition précise et fondé du même coup une typologie du libertinage qui allait connaître un grand succès : est libertin, pour lui, l'homme qui se sert de l'amour pour assurer le triomphe de sa fantaisie aux dépens de sa partenaire, qui érige l'inconstance en principe et qui, ne cherchant que le plaisir de ses sens et la satisfaction de sa vanité, n'accorde rien au sentiment dans l'entreprise de la conquête amoureuse. Obsédé par ce qu'en dira le public, il joue un jeu mondain, dont les règles s'appellent bienséances et usages. Mieux : il sait qu'il ne peut réussir qu'en « se défigurant sans cesse », c'est-à-dire en érigeant l'hypocrisie en ligne de conduite. Subsidiairement, il a, comme Versac et Valmont, « la plus haute naissance, l'esprit le plus agréable et la figure la plus séduisante ». Sa seule occupation : réduire à merci les femmes sur qui il a jeté son dévolu, rompre avec elles et prendre la société à témoin de l'étendue et de la qualité de ce triomphe.

Pour le libertin, en effet, rien ne se passe dans le secret des cœurs ni ne doit rester contenu dans l'ombre des alcôves. Sans le public, son souverain juge, il n'existe pas : un réseau de regards suit son moindre déplacement et guette chaque mouvement de son visage. Qu'un détail échappe d'aventure à ces permanents spectateurs, il se charge aussitôt de le leur apprendre : l'indiscrétion est une obligation absolue pour le séducteur conscient de ce qu'il vaut. Aussi est-ce le public qui impose ses rites au libertinage et qui circonscrit le champ où il peut s'exercer : c'est lui, pour commencer, qui impose l'idée qu'il est honteux d'être fidèle et que l'amour est un « préjugé gothique ». La décence n'étant rien d'autre que « ce qui se fait », reste à savoir se conduire comme il convient, d'où l'importance de la science du monde, qui ne s'obtient que par l'expérience et dont l'acquisition va de pair avec une maîtrise croissante du langage. Apprendre le code en usage, avec ses mots de passe, ses signaux et les subtilités de son jargon, c'est à quoi servent les éducations sentimentales bien tempérées.

De Crébillon fils à Laclos (1741-1803), en passant par tous les épigones du premier (qui furent très nombreux jusqu'aux années 1750), ces conditions demeurent nécessaires au strict exercice du libertinage, art de haute stratégie, fondé sur une rigoureuse analyse des mécanismes de l'amour et du désir. On ne saurait, par conséquent, confondre la littérature libertine avec les romans et les poèmes gaillards, licencieux, ou érotiques : ni Caylus, ni Grécourt, ni Restif, ni le Nerciat des Aphrodites n'appartiennent à son domaine. Casanova non plus : ce maître de la séduction ne s'est jamais servi de l'amour pour éprouver son empire sur autrui ; sa sensualité, spontanée et avide de conclure, fait bon ménage avec une certaine morale du sentiment et ne viole qu'à contre-cœur les conventions établies ; sa tactique consiste surtout à improviser, en suivant l'inspiration d'un optimisme impavide et d'un goût illimité du bonheur. Voilà, soit dit en passant, un excellent exemple des équivoques du vocabulaire en cette matière : parangon du libertinage, si l'on se fie au sens courant du terme au xviiie siècle et de[...]

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  • : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
  • : professeur honoraire à la faculté des sciences humaines de Paris

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