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LICORNE

La licorne est un animal légendaire — une sorte de gazelle à corne frontale unique —, porteur de symbolismes et de fantasmes divers, qui a hanté l'imagination d'écrivains et de peintres depuis l'Antiquité tardive jusqu'à la Renaissance et même au-delà. En fait, ce sont les artistes qui ont assuré son succès. Il existe des unicornes réels ou imaginaires dans d'autres cultures — indienne, chinoise, arabe, africaine —, mais la licorne occidentale donne lieu à un corpus iconographique et littéraire cohérent qui doit peu à peu à des emprunts extérieurs. La forme la plus classique de la légende la montre inséparable d'une jeune fille ; son histoire est donc celle d'un couple, et l'aspect érotique peut être tenu pour central même là où le symbolisme religieux prédomine en apparence. Aussi est-il absurde de voir dans la licorne un symbole de pureté : elle en est l'emblème, en raison de son lien ambigu avec une jeune vierge.

Mis à part quelques antécédents chez des géographes naturalistes grecs et la traduction approximative d'un mot de la Bible hébraïque, notre licorne apparaît avec son histoire définitive et son application christologique dans un bestiaire alexandrin du ive siècle ; un texte hermétique antérieur permet de penser que la légende préexistait au symbolisme. La licorne est décrite comme un animal sauvage et très robuste, ressemblant à une chèvre, que seule peut capturer une vierge pure : il saute dans son sein, elle lui donne à téter et l'on s'en empare. C'est une figure du Sauveur, est-il ajouté, qui a établi sa demeure dans le sein de la Vierge. Un second passage établit la vertu protectrice de la corne à l'égard des poisons, thème qui cheminera parallèlement au premier et donnera lieu à un commerce lorsqu'on connaîtra l'incisive du narval.

En général, les Pères de l'Église évoquent volontiers la licorne mais non le couple, et l'animal est représenté seul dans l'art chrétien ancien. Mais le Physiologus et un texte d'Isidore de Séville qui le cite seront diffusés partout au Moyen Âge. À partir du ixe siècle, des œuvres plastiques admirables reproduisent la scène de la capture : manuscrits d'abord (psautiers, bestiaires), ensuite sculptures, vitraux, tapisseries, émaux, ivoires, etc. Tantôt le sens en est profane — ruse de femme, image de l'amour —, tantôt le symbolisme religieux s'impose. Deux déplacements très sensibles se produiront au xiiie siècle. D'une part, d'un symbole global de l'incarnation on passe à une allégorie plus laborieuse et plus incongrue : la licorne féroce et sensuelle est le Verbe, la jeune séductrice perverse est Marie ; tous les détails deviennent signifiants. D'autre part, un thème devient peu à peu prépondérant : celui de la chasse, qu'il apparaisse dans les versions profanes ou qu'il introduise dans les autres une représentation de la Passion. L'animal lui-même tend à grandir, à s'adoucir, à devenir régulièrement blanc, à ressembler à un cheval. L'œuvre d'art la plus célèbre, à juste titre, la tapisserie du musée de Cluny intitulée La Vue, est un admirable poème d'amour : d'adoration, de soumission, de solitude du couple, de tendresse réciproque ; et pourtant les regards ne se croisent pas, la licorne regarde sa propre image dans le miroir.

À partir de la Réforme et de la réaction catholique, la licorne disparaît de l'art religieux, se fait rare chez les peintres et les écrivains. D'un côté, quelques exceptions : Léonard de Vinci, Raphaël, le Dominiquin, Gustave Moreau ; et, de l'autre côté, les frères Grimm, George Sand, Dickens, Lewis Carroll et surtout Rainer Maria Rilke, qui lui a consacré deux poèmes et un long passage des Cahiers de Malte Laurids Brigge.[...]

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Écrit par

  • : docteur en théologie, dominicain, directeur du centre de formation théologique du Saulchoir, directeur de la revue La Vie spirituelle

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