Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LIED

Allemagne : l'époque brillante

C'est donc bien vraiment chez Franz Schubert que l'on rencontre, pour la première fois, cette conception du lied qui donne vie aux mots et à ce qui est derrière les mots. Il donne vie à l'inexprimé. Si cette pensée est trop précise et trop rationnelle, elle ne fait plus la part du rêve, et la poésie se retire. La musique a ce privilège, lorsqu'elle s'associe à un texte, qu'elle ne précise rien, mais qu'elle donne au halo poétique un appoint de lumière.

<it>Des Knaben Wunderhorn</it> - crédits : AKG-images

Des Knaben Wunderhorn

C'est là ce qu'on pourrait saisir sur le vif en analysant l'un des plus mystérieux lieder de Schubert, Du bist die Ruh, sur un poème de Friedrich Rückert, ou bien encore ce qui est sans doute son chef-d'œuvre, Der Doppelgänger (que l'on a souvent traduit assez bizarrement en France par Le Sosie au lieu de Le Double), dont le texte est de Heine.

Il y a, d'autre part, chez Schubert une certaine veine populaire (on dit bien « populaire » et non pas « folklorique »), dont certains lieder du cycle de La Belle Meunière (Die schöne Müllerin) donnent l'exemple, ou bien encore un art de condenser en quelques pages toute une action dramatique ; on citera ici au premier chef le célèbre Roi des aulnes (Erlkönig) sur une ballade de Goethe.

Schubert appartient tout ensemble à la catégorie des musiciens prédestinés et à celle des ingénus touchés par la grâce. Un prodigieux instinct et une sensibilité raffinée lui tiennent lieu de culture. Dans l'immense quantité de lieder où il s'attaque directement à la chose littéraire, il y réagit en pur musicien. Il se saisit du texte avec cette espèce de sûreté animale qui va tout droit aux points sensibles. Il s'installe au cœur de l'émotion du poète. Il la ressent par une opération de sympathie qui la fait proprement sienne, et il ne lui reste plus qu'à l'exprimer à nouveau avec ses moyens propres. Simple transfert d'un langage à un autre. D'où cette instantanéité de la nuance musicale par rapport à celle du poème.

Schumann

Schumann - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Schumann

Avec Robert Schumann, la démarche est tout autre. Il n'appartient pas, lui, à la famille des ingénus. Il tient de celle des artistes de vaste culture. Pour le romantique allemand, derrière les apparences sensibles, au-delà de la vie de la conscience, gît, au plus profond de la nuit, la réalité du monde, le flux mouvant du devenir. Quand Schumann, parti dans la vie pour être un écrivain et un poète, bifurque vers la musique, il choisit ainsi le moyen d'aller plus loin, plus profond, dans cette descente au sein de la nuit mystique.

Quand Schumann, musicien, se place devant un texte à mettre en musique, il réagit à la fois en poète et en musicien. Schubert vivait une certaine situation poétique et nous la faisait vivre avec lui. Schumann tend à se fondre en elle. Le voici devant un Clair de lune du poète Eichendorff. Tout, dans cette musique, est disposé de façon à rendre sensible une sorte de dilatation du paysage, et, avec lui, de l'âme du musicien jusqu'aux clairs confins de la nuit, ces confins où l'âme en fuite sera, dit littéralement le poème, « à la maison ».

Parmi les cycles de lieder que Schubert a composés, les plus notables sont La Belle Meunière et Le Voyage d'hiver. La vision profondément pessimiste qui en émane leur assure une forte cohérence. Avec L'Amour et la Vie (Frauenliebe und -leben) et avec Les Amours du poète (Dichterliebe), Schumann offre tout autre chose. Les Amours du poète est une œuvre dont chaque partie a en soi sa propre fin, mais, en outre, un rôle par rapport à ses voisines et un poids dans l'équilibre général. Il y a, à travers toute l'œuvre, une progression dramatique et Schumann a tellement voulu marquer cette continuité expressive qu'il lui arrive de résoudre, sur la première mesure d'un lied, la dissonance laissée en suspens[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française

Classification

Médias

Haydn - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Haydn

Beethoven - crédits : Rischgitz/ Getty Images

Beethoven

Franz Schubert - crédits : Imagno/ Getty Images

Franz Schubert

Autres références

  • ACCOMPAGNEMENT MUSICAL

    • Écrit par
    • 1 920 mots
    ..., ouvre de nouveaux horizons aux musiciens. L'écriture pour clavier va aussitôt en profiter, et l'accompagnement va suivre presque immédiatement. Là est la raison véritable de la naissance de la mélodie et du lied. Dépassant le stade du simple chant accompagné tel qu'on le pratiquait au ...
  • AIR, musique

    • Écrit par
    • 3 278 mots
    ...mouvement lent d'une sonate ou d'une symphonie porte encore souvent, même à l'époque romantique (Quatrième Symphonie de Schumann), le titre de romance. Or, on peut considérer que, comme la mélodie ou le lied (certains mouvements de symphonie ou de quatuor sont déclarés « en forme de lied »), la romance...
  • ALBERT HEINRICH (1604-1651)

    • Écrit par
    • 291 mots

    Le compositeur et poète allemand Heinrich Albert est l'auteur d'un célèbre recueil de cent soixante-dix pièces vocales qui font de lui le père du lied allemand.

    Né le 8 juillet 1604 à Lobenstein (auj. Bad Lobenstein), en Thuringe, Heinrich Albert s'initie à la composition auprès de son...

  • BERRY WALTER (1929-2000)

    • Écrit par
    • 1 149 mots

    Figure emblématique du chant viennois, l'Autrichien Walter Berry est l'un des plus grands barytons-basses mozartiens de la seconde moitié du xxe siècle. Il voit le jour à Vienne le 8 avril 1929 et envisage d'abord une carrière d'ingénieur avant d'entamer en 1946 des études de chant à...

  • Afficher les 42 références