LIED
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Le lied en France
Berlioz
En France, le lied a pris un très beau départ dans les années proches de 1830 avec Hector Berlioz, c'est-à-dire à quelques années de Schubert, dont Berlioz a certainement connu les lieder par le chanteur Nourry qui les a très tôt introduits à Paris. Les neuf poèmes de Thomas Moore, mis en musique par Berlioz en 1829, dans une traduction versifiée malheureusement très faible, sont assez divers par le style, car l'auteur n'a nullement entendu en faire un cycle. Ces lieder sont parfois d'un ton assez schubertien et d'une qualité qui les égale aux meilleurs du musicien autrichien. D'autres sont écrits à deux voix, d'autres encore, comme la superbe Élégie qui porte le numéro 9, atteignent à une intensité dramatique qui n'a été surpassée par aucun des plus grands maîtres du genre.
Berlioz use le plus souvent de la forme strophique, mais il la combine avec une veine mélodique extrêmement abondante, qui l'emporte de déduction en déduction sans que jamais sa mélodie revienne sur elle-même. Cette longueur de la phrase est complétée par un renouvellement constant de sa rythmique. Par là il s'éloigne beaucoup du style populaire, et c'est un point qui le différencie nettement de son prédécesseur viennois.
D'autres lieder, très développés, de Berlioz, comme Sara la Baigneuse ou La Mort d'Ophélie, ont trouvé leur forme définitive dans la combinaison chœur-orchestre. Les magnifiques Nuits d'été ont également reçu une parure orchestrale qui les écarte un peu du lied pur.
Après Berlioz, le lied français piétine quelque peu ; on verse dans la romance de salon, avec des exceptions brillantes chez Gounod, Saint-Saëns, Bizet, Chabrier.
Duparc
Avec Henri Duparc, on aborde une solution nouvelle des problèmes posés par le lied à un compositeur de langue française, beaucoup moins déterminé que le compositeur allemand par le schéma rythmique du langage parlé. Il s'agit chez Duparc d'un véritable poème chanté, non pas resserré comme le lied allemand, mais brossé par larges touches de couleurs simples, mais délicates et chaudes, prenant son temps, ne refusant pas l'épanchement de l'expression vocale, très enveloppé dans des harmonies souvent statiques mais soyeuses et de riche matière. Mélodie de noble tenue, d'élégance patricienne, le plus souvent d'une mélancolie profonde. Grandes libertés à l'égard de la prosodie. Une façon de contrarier le rythme du vers par une scansion délibérément illogique... ou plutôt qui substitue à la logique du sens la logique de l'image, au prix souvent d'un extrême allongement des valeurs sur des syllabes faibles du texte.
Fauré
C'est avec Gabriel Fauré qu'apparaît le compositeur de lieder le plus fécond de l'histoire musicale française. Ses lieder sont très spécifiquement français par le jeu harmonique qui les commande de la première à la dernière mesure. Fauré se plaît à enchaîner les uns aux autres des accords dissonants. C'est dire qu'il résout les tensions impliquées dans une harmonie en en créant de nouvelles dans celle qui lui succède. Cela jusqu'au point où il a décidé de mener l'auditeur et dont on doit sentir l'approche grâce à l'instinct et à la mémoire. Si bien qu'après cette suite de chutes en avant, on reprend équilibre et on retrouve avec joie la tonalité initiale.
Fauré a aussi un art bien à lui de diviser un lied en deux éléments organiquement liés, l'un au chant, l'autre au piano, aussi attachants l'un que l'autre dans leur totale indépendance et dont aucun ne domine – c'est la synthèse qui compte –, tel le Clair de lune, un des plus rares chefs-d'œuvre de toute la littérature du lied. Fauré a été le grand musicien de Verlaine, mais c'est sur la fin de sa vie qu'il atteint au dépouillement suprême et à la plus haute spiritualité avec le cycle de L'Horizon chimérique.
Debussy
Claude Debussy n'est pas à strictement parler un compositeur de lieder, malgré la beauté proprement mélodique de ses Ariettes oubliées, de ses Fêtes galantes ou de ses Poèmes de Baudelaire. Mais il est, plus qu'aucun autre, la langue française faite musique. Il l'est surtout à partir d'un moment de sa production que semblent préparer progressivement les recueils cités plus haut. Avec les Chansons de Bilitis, il va à l'extrême de la recherche d'un langage parlé musical. Mais c'est la veine de Pelléas et Mélisande, et la scène lyrique est toute proche de ce style. Le véritable miracle de synthèse entre cette esthétique et celle du lied est offert dans le Promenoir des deux amants, où Debussy s'affirme comme l'un des plus riches créateurs dans ce domaine.
Chez un Maurice Ravel ou chez un Stravinski, le lied n'est qu'un épisode plutôt secondaire dans l'ensemble d'une production dominée par l'orchestre ou par le piano. La veine populaire qui est un des aspects possibles du genre apparaît toutefois chez l'un comme chez l'autre, soit qu'il vienne du pays natal (chez Stravinski), ou qu'il soit emprunté (comme dans les Chansons grecques de Ravel).
Poulenc
On trouve davantage de lieder caractérisés et de la meilleure encre chez Albert Roussel. Mais, dans le milieu du xxe siècle, le compositeur qui s'est le mieux replacé dans la grande tradition du lied, telle que l'avaient établie les compositeurs allemands ou autrichiens du xixe siècle, c'est Francis Poulenc.
À propos des nombreux lieder qu'il a composés sur des poèmes de Guillaume Apollinaire, Poulenc a écrit : « Chose capitale, j'ai entendu le son de sa voix. Je pense que c'est là un point essentiel pour un musicien qui ne veut pas trahir un poète. » Ainsi, c'est en deçà de la naissance du texte que le musicien place le choc initial qui le détermine. Le verbe créateur du poète, matérialisé dans le timbre de sa voix, engendre, hors du temps, dans une sorte de simultanéité mystérieuse, le poème des mots et le poème des sons. C'est un peu le même processus créateur que chez Schumann : achever une œuvre demeurée en partie virtuelle en l'attente du musicien qui complètera le couple créateur. Le tour d'esprit de Poulenc l'amena à beaucoup écrire sur des textes d'Apollinaire dont le style saupoudré d'ironie laisse toujours un sourire en coin errer derrière le voile de sa mélancolie nonchalante. Jean Cocteau, Louise de Vilmorin et surtout Paul Eluard ont été également de ses plus heureux inspirateurs. Poulenc a en Angleterre une sorte d'homologue en la personne de Benjamin Britten, qui a souvent travaillé sur des textes étrangers à la langue anglaise (Les Illuminations de Rimbaud, les Sonnets de Michel-Ange, etc.).
Un aussi bref tour d'horizon a laissé forcément dans l'ombre beaucoup de musiciens de tout premier plan, dont les uns ont une création toute personnelle comme le Suisse Otmar Schoeck, dont les autres ont travaillé en liaison avec leur folklore natal, comme Manuel de Falla ou Joaquín Nín en Espagne, Béla Bartók ou Zoltán Kodály en Hongrie, Edvard Grieg en Norvège, Cesar Cui, Alexandre Borodine ou Modeste Moussorgski en Russie, Darius Milhaud en France avec ses poèmes juifs. Il faudrait aussi parler de l'école de Vienne, des lieder d'Alban Berg sur des textes de Peter Altenberg, des Jardins suspendus d'Arnold Schönberg, des condensés de musique pour voix et piano d'Anton Webern. Il faudrait, au fond, citer les noms de tous les compositeurs de quelque renom, car il n'y en a pas qui ne se soient plus ou moins essayés dans ce genre difficile. Le lied est un domaine immense.
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Écrit par
- Henry BARRAUD : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française
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Médias
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