LIÈGE, ville

La vie politique et sociale

L’histoire économique de la ville et de sa région est à l’origine d’une vie sociale et politique particulière. Même si la participation liégeoise aux événements de 1830 qui ont conduit à l'indépendance de la Belgique a été importante, une fraction de la bourgeoisie locale est restée orangiste pendant plusieurs années, c'est-à-dire favorable au maintien des liens avec les Pays-Bas du Nord. Ces liens lui ont apporté une complémentarité entre son industrie et la puissance commerciale maritime de la Hollande. Rappelons que Cockerill, lui-même orangiste, a été soutenu dans ses initiatives industrielles par le roi Guillaume.

Toutefois, protagoniste important de la Révolution de 1830 et membre du gouvernement provisoire, le libéral liégeois Charles Rogier devient une figure dominante de la vie politique nationale. Il participe à de nombreux gouvernements et en dirige plusieurs. C'est notamment sous son impulsion que les autorités décident en 1834 la création aux frais de l'État d'un réseau de chemins de fer, ouvrant un débouché considérable aux charbonnages et aux entreprises métallurgiques, tout en recourant largement au marché des capitaux.

Tandis que Hubert Frère-Orban succède progressivement à Charles Rogier comme chef de file des libéraux liégeois, avec des orientations plus marquées dans le sens du libre-échange du point de vue économique, du conservatisme social et de l'anticléricalisme dans les relations avec le monde catholique, le mouvement ouvrier s'organise sous des formes variées et s'exprime à travers diverses publications. La création, en 1867-1868, de la section liégeoise de l'Association internationale des travailleurs opère une première cristallisation. Une grève violente aux usines Cockerill à Seraing connaît en 1869 une répression sanglante.

Une certaine influence anarchiste sur le mouvement ouvrier liégeois est indéniable, notamment au lendemain de la Commune de Paris. Elle freine ou restreint le passage à l'action politique organisée, même si des Liégeois engagés dans des coopératives, des syndicats et des mutualités participent à la création à Bruxelles, en 1885, du Parti ouvrier belge. Elle s'exerce encore lors du déclenchement de la manifestation du 18 mars 1886, qui est le point de départ d'événements sociaux d'une extrême gravité dans les centres industriels wallons. Il s'agit d'un véritable tournant dans l'histoire sociale : grèves et émeutes n'avaient jamais connu une telle violence et une telle extension, échappant au contrôle des forces ouvrières organisées. Le bassin liégeois restera le centre d'un mouvement ouvrier puissant et traversé de fréquentes tensions.

Dans sa majorité, ce mouvement est socialiste et anticlérical, mais le monde catholique liégeois est aussi, à la fin du xix^e siècle, le lieu d'un débat très vif sur la question de l'autonomie des organisations ouvrières chrétiennes. Ce débat s'amorce lors des congrès des œuvres sociales tenus à Liège sous l'égide de l'Église en 1886, en 1887 et tout particulièrement en 1890, où intervient l'abbé Pottier, professeur de théologie au Grand Séminaire. Avec ce dernier, on est aux origines d'une démocratie chrétienne soucieuse de s'affirmer nettement face aux conservateurs catholiques. Des listes distinctes sont même présentées lors des élections législatives de 1894, sans toutefois obtenir de siège. Les interventions successives de l'évêque de Liège, M^gr Doutreloux, et de la nonciature entraînent d'ailleurs la résorption rapide de la formation autonome et la présentation de listes communes où les conservateurs sont contraints de faire une place aux démocrates-chrétiens.

Dès l'instauration d'une première forme de suffrage universel, le socialisme s'impose comme[...]