LIEN SOCIAL
Ce vocable peut a priori désigner une simple tautologie, à savoir que les hommes se lient entre eux pour constituer une société. D'un point de vue phénoménologique, il n'est pas déplacé d'indiquer que le « nous » est présent dans tout « moi », dans la mesure où le « moi » de l'individu est précisément façonné par l'action des autres dans le processus pluriel de socialisation. C'est la base de l'intersubjectivité décrite par Alfred Schütz (1899-1959), sur laquelle repose le moment situationnel des phénomènes sociaux, l'autre moment, l'institutionnel, constituant le social objectivé (en institutions, précisément). Tout lien social, même le plus élémentaire (entre la mère et son enfant, par exemple), prend son appui sur une situation au sens que lui donne Erving Goffman (ici la coprésence de l'enfant et de sa mère), c'est-à-dire d'environnement spatio-temporel au sein duquel les acteurs sociaux sont à portée perceptive les uns des autres, et un contexte institutionnel (en l'occurrence les dispositifs culturels qui donnent sens au statut de mère dans une société donnée).
Beaucoup de sociologues, notamment certains des « pères fondateurs », se sont interrogés sur la nature des liens sociaux dans divers types de société, ce qu'on a appelé les modes de sociabilité. Ainsi, Durkheim a-t-il distingué entre les sociétés à solidarité mécanique, à faible division du travail, où les individus se distinguent peu les uns des autres (c'est ce qu'on croyait à son époque des sociétés dites alors « primitives ») et les sociétés à solidarité organique, à forte division du travail, dans lesquelles émerge la figure de la personne autonome. Les règles de droit, de répressives deviennent associatives, et l'évolution de type biologique se mue en idéologie du progrès. Le mode de vie urbain, en permettant de conserver l'anonymat au sein de foules étendues, devient un cadre de liberté : c'est ainsi que Max Weber affirmera que « Stadtluft macht frei » (« l'air de la ville rend libre »).
Un autre sociologue renommé, Ferdinand Tönnies (1855-1936), proposera une distinction entre Gemeinschaft (« communauté ») et Gesellschaft (« société »). Cette distinction se réfère aux différents types de relations supposées caractéristiques, respectivement des sociétés faiblement peuplées et de celles qui le sont fortement. Dans les premières, dont les populations sont relativement immobiles, le statut des membres est prescrit par l'ensemble du « nous », et la famille et la religion jouent un rôle important en maintenant un corpus défini de croyances, tandis que se développent des liens émotionnels et de coopération. Le village et les regroupements de faible étendue sont caractérisés par des relations de type communautaire, lesquelles se dissolvent en relations impersonnelles et contractuelles lorsque la division du travail se complexifie, ce qui mène à des villes et des organisations à grande échelle où prévalent des formes sociales de type sociétaire. On retrouve ici le schéma du passage d'une espèce de solidarité à l'autre chez Durkheim. De nos jours, le thème de la « communauté » fait florès, en liaison avec la volonté d'affirmation de groupements considérés au départ comme marginaux : minorités « ethniques », sexuelles, religieuses, etc. Les liens qui se tissent entre les membres de ses regroupements se réclament de particularités revendiquées comme telles, et prétendent primer sur l'égalitarisme censé devoir prévaloir dans l'espace public national.
Pour de nombreux auteurs, la notion de lien social prend une acception plus politique : « Utiliser l'expression de lien social renvoie à l'énonciation d'une formule désignant un état des rapports sociaux[...]
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Écrit par
- Claude JAVEAU : professeur à l'Université libre de Bruxelles
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